Challenge ABC 2008

Cette année, je fais mon tout premier challenge ABC et après bien des réflexions, je me suis fixé un thème assez large : *Classiques du XIXème siècle*. Historiquement et artistiquement parlant, je trouve en effet que le XIXème siècle est très très riche, et qu'il me fallait aller plus avant dans la découverte de sa littérature. Le challenge ABC me donne l'occasion de le faire.

Mise à Jour *** A présent que ce Challenge est bien avancé, je me permets quelques modifications. J'allège tout d'abord ma liste. De plus, comme certaines lettres sont difficiles à trouver ou que mes envies de lecture évoluent, j'ajoute contrepartie des lectures-bonus, histoire de compenser les absences (le Q, U, X et Y) ou les abandons (Dickens).


~ Liste
~

Austen, Northanger Abbey (Lu!)

Brontë Charlotte, Jane Eyre (Lu!)

Jean Bertheroy, Le mime Bathylle *Bonus

Chateaubriand, René (Lu!)

Darien, Le voleur (Lu !)

Eliot George, Le Moulin sur la Floss (Lu !)

Flaubert, Salammbô (Lu!)

Flaubert, Madame Bovary *Bonus

Gautier, Mademoiselle de Maupin (Lu !)

Huysmans, A rebours (Lu !)

Huysmans, En rade *Bonus

Ibsen, Les revenants (Lu !)

James Henri, Daisy Miller (Lu !)

Kleist, La Marquise d'O... (Lu!)

Lorrain, Monsieur de Bougrelon (Lu !)

Mirbeau, Le journal d'une femme de chambre (Lu !)

Mirbeau, Les 21 jours d'un neurasthénique *Bonus

Nerval, Aurélia (Lu !)

Radcliffe Ann, Les mystères d’Udolf (Lu!)

Rachilde, Les Hors Nature *Bonus

Stendhal, La chartreuse de Parme (Lu!)

Stendhal, Armance *Bonus

Thackeray, La foire aux vanités (Lu!)

Vallès, L'enfant (Lu!)

Wilde, De l’importance d’être Constant (Lu!)

Zola, Nana (Lu!)


Tout commentaire est le bienvenu ;) Je préférerais avoir une liste plus complète avant de l'envoyer officiellement et de sceller définitivement ce projet. Demain, rentrée à l'université, je suis pleine d'appréhension. Ce challenge et ces futures lectures font un peu partie de mon projet de lire plus, mieux, de découvrir des choses mises de côté depuis trop longtemps, de m'évader hors du stress, des problèmes. Cela apporte une motivation supplémentaire dans la lecture, de plus. J'ai hâte de commencer tout cela !

Emportement.

Quelques jours avant la rentrée, j'avais terminé la lecture de L'ensorcelée de Barbey d'Aurevilly. J'ai pourtant choisi de ne pas en parler pour une raison toute simple : bien que la lecture m'aie plu, j'ai un peu de mal à la comprendre et à la cerner. Non pas que j'estime d'habitude saisir les sens des oeuvres que je chronique, mais dans ce cas précis, une incertitude, une gêne demeure, et je ressens le besoin de maintenir mon souvenir dans le silence, pour l'instant. Ce qui ne m'empêchera pas de lire d'autres oeuvres de ce drôle de personnage qu'est Barbey d'Aurevilly, histoire d'élargir les perspectives ...
Malgré ce silence, j'ai envie de faire figurer une trace de L'ensorcelée sur ce blog : cela se fera par l'intermédiaire du "texte du mois" (qui, je le sens bien, n'aura pas forcément une régularité mensuelle !). J'avais pensé citer un passage décrivant la lande, avant de jeter mon dévolu sur cet extrait du chapitre XIII qui m'avait impressionnée : une scène de foule au rythme intéressant et qui figure parmi les passages qui m'ont le plus marquée. Un long extrait, cela va sans dire, mais qui vaut le détour, pour peu que vous preniez un peu de temps pour le découvrir !

Contexte :
"Dans une atmosphère de campagne barbare où interviennent des pâtres jeteurs de sorts et des vieilles femmes hantées par le souvenir de leurs débauches, Jeanne Le Hardouey, une aristocrate claudélienne mésalliée d'âme et de corps à un acquéreur de biens nationaux, est "ensorcelée" par un prêtre, l'abbé de la Croix-Jugan qui a tenté de se suicider par désespoir de la cause perdue et dont le visage monstrueux porte la trace des tortures que lui ont fait subir les Bleus. On trouvera Jeanne noyée dans un lavoir ..." (Quatrième de couverture)
Le texte conte la fin de la Clotte, vieille dame à la beauté autrefois légendaire, amante des aristocrates avant la révolution. Recluse chez elle, elle se traîne pourtant à l'enterrement de Jeanne, où elle se heurte à l'hostilité de la foule ...


"« Donne ! que je la bénisse, – fit-elle lentement, – et n’insulte pas la vieillesse en présence de la mort », – ajouta-t-elle avec une ferme douceur et une imposante mélancolie.

Mais l’homme à qui elle parlait était d’une nature rude et grossière, et les habitudes de son métier augmentaient encore sa férocité habituelle. C’était un boucher de Blanchelande, élevé dans l’exécration de la Clotte. Il s’appelait Augé. Son père, boucher comme lui, était un des quatre qui l’avaient liée au poteau du marché et qui avaient fait tomber sous d’ignobles ciseaux, en 1793, une chevelure dont elle avait été bien fière. Cet homme était mort de mort violente peu de temps après son injure, et la mort, imputée vaguement à la Clotte par des parents superstitieux, passionnés, et en qui les haines de parti s’ajoutaient encore à l’autre haine, devait rendre le fils implacable.

« Non ! – dit-il, – tu ferais tourner l’eau bénite, vieille sorcière ! tu ne mets jamais le pied à l’église, et te v’là ! Es-tu effrontée ! Et est-ce pour maléficier aussi son cadavre que tu t’en viens, toi qui ne peux plus traîner tes os, à l’enterrement d’une femme que tu as ensorcelée, et qui n’est morte peut-être que parce qu’elle avait la faiblesse de te hanter ? »

L’idée qu’il exprimait saisit tout à coup cette foule, qui avait connu Jeanne si malheureuse et qui n’avait pu s’expliquer ni l’égarement de sa pensée, ni la violence de son teint, ni sa mort aussi mystérieuse que les derniers temps de sa vie. Un long et confus murmure circula parmi ces têtes pressées dans le cimetière et qu’un pâle rayon de soleil éclairait. À travers ce grondement instinctif, les mots de sorcière et d’ensorcelée s’entendirent comme des cris sourds qui menaçaient d’être perçants tout à l’heure... Étoupes qui commençaient de prendre et qui allaient mettre tout à feu.

Il n’y avait plus là de prêtres ; ils étaient rentrés dans l’église ; il n’y avait plus là d’homme qui, par l’autorité de sa parole et de son caractère, pût s’opposer à cette foule et l’arrêter en la dominant. La Clotte vit-elle le péril qui l’entourait dans les plis épais de cette vaste ceinture d’hommes irrités, ignorants, et depuis des années sans liens avec elle, avec elle qui les regardait du haut de son isolement comme on regarde du haut d’une tour ?

Mais, si elle le vit, son sang d’autrefois, son vieux sang de concubine des seigneurs du pays monta à sa joue sillonnée comme une lueur dernière, en présence de ces hommes qui, pour elle, étaient des manants et qui commençaient de s’agiter. Appuyée sur son bâton d’épine, à pas de cette fosse entr’ouverte, elle jeta à Augé, le boucher, un de ces regards comme elle en avait dans sa jeunesse quand, posée sur la croupe du cheval de Sang-d’Aiglon de Haut-Mesnil, elle passait dans le bourg de Blanchelande, scandalisé et silencieux.

« Tais-toi, fils de bourreau, – dit-elle ; – cela n’a pas tant porté bonheur à ton père de toucher à la tête de Clotilde Mauduit !

– Ah ! j’achèverai l’œuvre de mon père ! – fit le boucher mis hors de lui par le mot de la Clotte. – Il ne t’a que rasée, vieille louve, mais moi, je te prendrai par la tignasse et je t’écalerai comme un mouton. »

Et, joignant le geste à la menace, il leva sa main épaisse, accoutumée à prendre le bœuf par les cornes pour le contenir sous le couteau. La tête menacée resta droite... Mais un coup la sauva de l’injure. Une pierre lancée du sein de cette foule, que l’inflexible dédain de la Clotte outrait, atteignit son front, d’où le sang jaillit, et la renversa.

Mais renversée, les yeux pleins du sang de son front ouvert, elle se releva sur ses poignets de toute la hauteur de son buste.

« Lâches ! » – cria-t-elle, quand une seconde pierre, sifflant d’un autre côté de la foule, la frappa de nouveau à la poitrine et marqua d’une large rosace de sang le mouchoir noir qui couvrait la place de son sein.

Ce sang eut, comme toujours, sa fascination cruelle. Au lieu de calmer cette foule, il l’enivra et lui donna la soif avec l’ivresse. Des cris : « À mort, la vieille sorcière ! » s’élevèrent et couvrirent bientôt les autres cris de ceux qui disaient : « Arrêtez ! non ! ne la tuez pas ! » Le vertige descendait et s’étendait, contagieux, dans ces têtes rapprochées, dans toutes ces poitrines qui se touchaient. Le flot de la foule remuait et ondulait, compacte à tout étouffer. Nulle fuite n’était possible qu’à ceux qui étaient placés au dernier rang de cette tassée d’hommes ; et ceux-là curieux, et qui discernaient mal ce qui se passait au bord de la fosse, regardaient par-dessus les épaules des autres et augmentaient la poussée. Le curé et les prêtres, qui entendirent les cris de cette foule en émeute, sortirent de l’église et voulurent pénétrer jusqu’à la tombe, théâtre d’un drame qui devenait sanglant. Ils ne le purent. « Rentrez, monsieur le curé, – disaient des voix ; vous n’avez que faire là ! C’est la sorcière de la Clotte, C’est cette profaneuse dont on fait justice ! je vous rendrons demain votre cimetière purifié. »

Et, en disant cela, chacun jetait son caillou du côté de la Clotte, au risque de blesser ceux qui étaient rangés près d’elle. La seconde pierre, qui avait brisé sa poitrine, l’avait roulée dans la poussière, abattue aux pieds d’Augé, mais non évanouie. Impatient de se mêler à ce martyre, mais trop près d’elle pour la lapider, le boucher poussa du pied ce corps terrassé.

Alors, comme la tête coupée de Charlotte Corday qui rouvrit les yeux quand le soufflet du bourreau souilla sa joue virginale, la Clotte rouvrit ses yeux pleins de sang à l’outrage d’Augé, et d’une voix défaillante :

« Augé, – dit-elle, – je vais mourir ; mais je te pardonne si tu veux me traîner jusqu’à la fosse de Mlle de Feuardent et m’y jeter avec elle, pour que la vassale dorme avec les maîtres qu’elle a tant aimés !

– I’ g’n’a pus de maîtres ni de demoiselles de Feuardent, – répondit Augé, redevenu Bleu tout à coup et brûlant des passions de son père. – Non ! tu ne seras pas enterrée avec celle que tu as envoûtée par tes sortilèges, fille maudite du diable, et je te donnerai à mes chiens ! »

Et il la refrappa de son soulier ferré au-dessus du cœur. Puis, avec une voix éclatante :

« La v’là écrasée dans son venin, la vipère ! – fit-il. – Allons, garçons ! qui a une claie que je puissions traîner sa carcasse dessus ? »

La question glissa de bouche en bouche, et soudain, avec cette électricité qui est plus rapide et encore plus incompréhensible que la foudre, des centaines de bras rapportèrent pour réponse, en la passant des uns aux autres, la grille du cimetière, arrachée de ses gonds, sur laquelle on jeta le corps inanimé de la Clotte. Des hommes haletants s’attelèrent à cette grille et se mirent à traîner, comme des chevaux sauvages ou des tigres, le char de vengeance et d’ignominie, qui prit le galop sur les tombes, sur les pierres, avec son fardeau. Éperdus de férocité, de haine, de peur révoltée, car l’homme réagit contre la peur de son âme, et alors il devient fou d’audace ! Ils passèrent comme le vent rugissant d’une trombe devant le portail de l’église, où se tenaient les prêtres rigides d’horreur et livides ; et renversant tout sur leur passage, en proie à ce delirium tremens des foules redevenues animales et sourdes comme les fléaux, ils traversèrent en hurlant la bourgade épouvantée et prirent le chemin de la lande... Où allaient-ils ? ils ne le savaient pas. Ils allaient comme va l’ouragan. Ils allaient comme la lave s’écoule."

Pour un oui ou pour un non

Me voilà arrivée à ma 50ème note de lecture, après plus d'un an et demi de blog ! L'œuvre évoquée, cette fois-ci, est toute petite, minuscule même ! C'est une pièce (radiophonique) de Nathalie Sarraute : Pour un oui ou pour un non ...



Voilà un titre bien anodin, un titre, même, qui nous invite à imaginer quelque chose de tout à fait léger. Loin s'en faut. Nathalie Sarraute part d'une situation a priori assez simple : un personnage, H2, s'éloigne un peu de son ami d'enfance, de son ami de toujours, H1 et en vient à lui reprocher quelques mots qu'il avait jetés là, sans y prêter attention. A la lecture des premières pages, la scène nous paraît assez absurde : quel est ce drôle de bonhomme, qui, dit-on, rompt ses amitiés "pour un oui pour un non" ? Qu'est-ce que c'est que cette drôle de conversation, où il est question d'intonations spéciales, de pièges, de princesses dans la forêt ? Apparaissent alors deux personnages, un couple quelconque, un H3 et une F1, juge improvisé de la dispute. A cet instant de la pièce, le lecteur/auditeur est tenté de suivre leurs avis, et de trouver le comportement de H2 pour le moins excessif ...

Cependant, tandis que la pièce se déroule devant nos yeux, que la discussion se poursuit, que des éléments nous sont apportés ça et là, on finit par comprendre qu'il y a quelque chose de bien plus grave qui est en train de se jouer. Rien d'anodin dans cette dispute et les explications qui s'en suivent, rien de léger dans cette volonté de rupture, rien de simple dans ce "oui" et ce "non" lancés en conclusion de la pièce. Quelque chose de fondamental sépare ces deux personnages, tout comme quelque chose de fondamental les condamne à être ensemble.
Tous deux, en effet, ont une façon tout à fait différente d'envisager la vie, et ce sont deux conceptions du rapport de l'individu à la société qui s'opposent. Tandis que l'un a choisi de jouer le jeu du système, qu'il est fier de l'existence, sage et rangée, qu'il s'est construite ; l'autre vit de petits boulots et refuse les cases et les classifications. Entre bonheur tranquille tel qu'il est généralement conçu dans nos sociétés ; et soucis d'indépendance, de vie par soi-même, recherche de quelque chose de plus qui n'a pas à porter de nom, les deux personnages ont hésité, chacun leur tour. Tous deux ont choisi un chemin, et par là-même tous deux se remettent en cause, mutuellement. Cela, au fil de la conversation, ils le comprennent, et le lecteur avec eux. Mais demeure l'incompréhension, à l'extérieur, ce poids du regard de l'autre qui, comme nous au début de la pièce, ne voit là qu'une peccadille, qu'une dispute à propos de presque rien, pour un oui ou pour un non. Et face à ces autres, qui ne cherchent pas à comprendre, H1 et H2 gardent quelque chose en commun : ils se sont posés la question ; le drame étant qu'ils n'ont pas choisi la même réponse.

A travers ce dialogue, Nathalie Sarraute nous invite à la réflexion : à la lecture, on peut finalement se demander où l'on se place, nous, dans tout ça ... C'est également l'occasion pour l'auteur de souligner toutes les limites du langage et de la communication. Voilà devant nous deux amis d'enfance, très intimes, et qui réalisent soudain qu'ils ne se sont pas très bien compris ... Un mot lâché, une intonation malheureuse, et c'est toute une amitié qui se fissure et se brise. Cette confrontation révèle au final des désaccords des plus fondamenteux, ceux-là même qu'on ne voit pas forcément, parce qu'ils ne transparaissent pas dans les conversations quotidiennes. Fragilité du rapport humain, qui se bâtit sur des silences et des malentendus ...
On sent véritablement que quelque chose de grave, quelque chose de tragique, est en train de se passer, alors que les répliques fusent et que l'on suit ce progressif glissement de sens. Pour un oui ou pour un non, plutôt que de donner des réponses, laisse une fin ouverte, où deux voix différentes retentissent, où deux voies sont présentées au lecteur ; la pièce nous invite finalement à la réflexion, soulevant pas mal de questions ...

Et tout cela, à la lecture d'une minuscule pièce : une cinquantaine de pages imprimées en très gros ! A découvrir et à méditer ...

Image : Salvadore Dali - Deux éléphants

Porte-plume


Je réapparais après ces quelques jours d'absence, et commence par une petite digression. La semaine prochaine, la fac ré-ouvrira ses portes, et j'entamerai ma troisième année de Licence. Cela signifiera sans doute un ralentissement du rythme de publication sur ce blog - bien que j'aime m'auto-contredire, et qu'il peut m'arriver d'écrire beaucoup juste après avoir annoncé une pause ...
J'ai par ailleurs pas mal de lectures à partager. J'ai découvert Kundera à travers quelques nouvelles, presque entièrement dévoré L'ensorcelée de Barbey d'Aurevilly, et ces derniers temps, pied de nez à la liste de livres-pour-les-cours, je regarde avec avidité vers mes étagères où m'attendent du Huysmans, du Mirbeau, du Jean Lorrain, du Flaubert, du Thackeray, et autres petits joyaux disséminés ça et là. Au delà de ça, j'ai l'intention de déposer un court billet à propos d'une pièce de Nathalie Sarraute, nous verrons cette semaine !


En attendant, voici un petit florilège de ce qui m'attend cette année, en vrac :

~ Clélie, de Melle de Scudéry
~ Enfance de Nathalie Sarraute, ainsi que Pour un oui ou pour un non
~ Un peu de Shakespeare, un peu de Montaigne (youp i!)
~ Ronsard, parce qu'il est partout ...
~ Les travailleurs de la mer de Victor Hugo parce qu'il est partout aussi.
~ Rousseau, dont Les rêveries du promeneur solitaire.
~ Une maison de poupées d'Ibsen (dont j'ai déjà parlé, il y a un moment) ainsi que du théâtre russe.

En vous souhaitant une bonne rentrée ...

Image : Un Corneille bien étrangement chapeauté ;)

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