[I] Les Revenants, d'Ibsen

[Billet Express]
On avait fortement reproché à Ibsen le dénouement de sa précédente pièce, Une maison de Poupées. En effet, Nora abandonne son mari et ses enfants afin de prendre en main son existence et vivre par elle-même. Ibsen répond au scandale provoqué en écrivant Les Revenants. Mme Alving a épousé un homme fortuné qui se révèle être le dernier des débauchés ; elle tente de fuir le mariage, mais elle se heurte aux décret du pasteur Manders et finit par les suivre : selon l'ecclésiastique, une bonne épouse se doit de rester auprès de son mari, quoi qu'il arrive. Par là, Ibsen adresse un véritable pied de nez à tous ses détracteurs : certes, cette fois-ci, il met en scène une femme qui, contrairement à Nora, est bien restée au domicile conjugal, mais il montre aussi que les conséquences d'une telle décision sont catastrophiques.
Pièce de critique sociale, Les Revenants surprend par sa violence et par la diversité des problèmes évoqués : le discours creux de la religion, l'hypocrisie de la société bourgeoise, le ridicule de sa morale et de ses préjugés, les maladies vénériennes, l'euthanasie, etc. Marquée également par les théories sur l'hérédité, la pièce met en scène les retrouvailles entre Mme Alving et son fils Osvald, atteint d'une syphilis qui lui vient de son père. Or, les schémas se reproduisent, à l'insu des personnages : ainsi, en tant que double de ce père disparu, Osvald s'éprend de Régine, servante de la maison et qui n'est autre que l'enfant que Mr Alving avait eu avec une domestique ...
Demeure ce terme de "Revenants" ... Que désigne-t-il ? Fantômes du passé, souvenirs que l'on préfèrerait oublier, ils représentent également un conglomérat de préjugés que l'on conserve malgré soi, vestiges de l'éducation et de la société dans laquelle on vit. Bien qu'elle aie ouvert les yeux sur de nombreux points (les confrontations avec le pasteur sont à ce propos des passages très intéressants qui montrent tant le ridicule des préceptes moraux de la religion, des convenances, que le tragique de ne pouvoir y échapper totalement), Mme Alving est encore toute entière pétrie de ces préjugés. Le rideau se fermera, à la dernière scène, sur un moment de désespoir et de doute, sur une fin ouverte qui amène le spectateur/lecteur à s'interroger sur ses propres revenants et marque par son intensité dramatique.
Une pièce très prenante, où le tragique provient du quotidien.


"Les revenants ne sont pas seulement ces êtres qui, dans les familles, se réincarnent une ou deux générations plus tard. Ce sont, dit Mme Alving, les idées, les croyances, qui entravent la liberté en se perpétrant ; ce sont des métaphores de l'obligation morale sous quelque forme que ce soit. On observe des rites sans y croire, comme une religion que l'on pratique à des dates régulières alors même qu'on ne croit plus en Dieu. Mais parce que ce ne sont plus que des métaphores, on les estime inopérantes, anodines, inoffensives. Et c'est là l'erreur : tant qu'elles n'ont pas été remplacées par autre chose, elles agissent, sournoisement, parfois à notre insu, et quand le réel oblige à les affronter, c'est le drame."
Michel Meyer

Image : brightsoul on deviantart

1 billet(s):

La fin de "Maison de poupé" était très moderne pour l'époque. Ibsen était sûrement en avance sur la morale de son temps. En même temps, ce n'était pas très dur avec une société aussi étouffante que celle du XIXe siècle !

jeudi, 31 juillet, 2008  

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