Dans ce recueil, se succèdent divers courts récits, écrits d'une main de maître, dans une langue parfaitement maîtrisée. Difficile de donner un quelconque résumé de ces oeuvres au pluriel, où pourtant se retrouve le motif de la femme morte, des objets animés, ou des êtres sortant de leur tableau. L'humour ou la mélancolie ne sont pas absents de cette mosaïque d'histoires courtes, où l'étrange demeure toujours, et dans toutes ses nuances.

Je sentis, en y entrant, comme un frisson de fièvre,
car il me sembla que j'entrais dans un monde nouveau.
La cafetière

L'auteur réussit à nous prendre doucement par la main et à nous emmener dans son époque. Ou dans d'autres univers : chambres baroques, costumes à la française, vieille Italie, ou plus loin encore, dans l'antique Orient et ses effluves d'encens. C'est la femme, la belle disparue, qui nous y emmène, dans son étrangeté de fantôme ravissant, vision palpable à la froide peau de serpent et au regard brillant; présente mais néanmoins inaccessile. L'oeuvre semble hantée toute entière par cette question de la mort et de l'éternité. Bonheur inaccessible, car l'homme aime à chaque fois un belle disparue, une belle qui s'évapore ; née de ses rêves d'opium, de ses fantasmes d'artiste. Mais au réveil, comme une trace soudaine qui laisse planer le doute, malgré tout. Et on a envie d'y croire, à cette jolie jeune fille, succube, willis ou vision diaphane ... et presque inoffensive. Qu'a-t'elle fait de mal, à part voler un peu au personnage son goût de la vie, et son espoir en un futur heureux ?


Un livre qui nous emporte, nous ausi, dans cette ivresse des autres mondes, qui nous laisse au coin des lèvres ce petit sourire amusé et triste à la fois. L'on se surprend nous aussi à rêver à notre propre fantôme à nous, avant de nous rappeler que, décidément, au XXIème siècle, cela ne se fait plus ... J'ai lu ce livre sous une brise douce et un soleil brillant, mais je me suis crue dans ces longues soirées d'hiver enveloppées de brume. Les descriptions nous font palper des objets insolites et embrasser des rêves immatériels. C'est dans des moments comme ça que l'on se dit qu'écrire, c'est finalement être magicien.

Image : Andy Julia

Je demeure bêtement studieuse pour l'instant, et m'attaque aux oeuvres évoquées en cours. Irrémédiablement, cela me donne envie de m'y plonger, par curiosité, pour savoir ce que cela donnait. C'est ce que j'ai fait avec Une Maison de Poupées, drame en trois actes, emblématique du réalisme scandinave.

En deux mots ... La pièce raconte l'histoire de Nora, jeune femme insouciante, mariée à Torvald Helmer et mère de trois enfants. Torvald vient de recevoir une promotion, le foyer vit en harmonie. Seulement, Nora avait emprunté à un homme, quelques années auparavant, sans le dire à son mari et en imitant une signature ; Torvald devenu directeur de banque renvoie alors l'homme même qui avait reçu le prêt. La situation est délicate, mais au troisième acte, le couple s'en sort. Seulement, la situation révèle à Nora sa condition de femme-enfant, cantonnée à un rôle de poupée et après une discussion avec son mari, quitte la maison afin de se réaliser par elle-même.


Durant les deux premiers actes, on vit à travers l'angoisse de cette jeune femme, parfois légère et exaspérante, parfois grave et soudain lucide sur sa situation. Finalement, le constat amer qu'elle n'est qu'un oiseau chanteur au plumage doré. Prendre conscience de sa propre limite, de sa contingence est douloureux, et c'est exactement ce que Nora vit. Objet de représentation, poupée au sourire enjôleur, enfant au corps de femme.

Helmer. - Je suis sauvé ! Nora, je suis sauvé ?
Nora. - Et moi ?

Première pièce qui a nourri le féminisme, le dernier acte se cloture par une porte qui claque, violemment, silence concluant le drame. Dur, même pour un lecteur du XXème siècle, de voir la protagonniste s'échapper des cadres et piétiner de ses prises de conscience un fade happy end. On ne sait ce qu'il adviendra, on rêvasse même en tant que spectateur habitué des téléfilms et autres sensibleries, on s'accroche au même espoir qu'Helmer, qui n'avait pas compris, jusqu'à cette porte qui se ferme, ce rideau qui tombe lourdement, et nous laisse en proie à d'horribles doutes. Une très belle pièce qui me donne envie de lire les autres, et que j'aimerais voir représentée, bien que Nora virevolte déjà dans ma tête à sa façon.



Musique : JBT - Peeches & Cream
Image : bowiebookgirl

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