C'est en cette fin de Décembre 2007 que ma première lecture dans le cadre du challenge ABC s'est achevée. Il s'agit du roman d'Ann Radcliffe, Les mystères d'Udolphe. Long ouvrage de près de 900 pages, je l'ai attaqué non sans quelques appréhensions (au vu de son épaisseur) et sort de cette lecture ravie et enthousiaste. J'ai d'ailleurs immédiatement entamé son pendant parodique, Northanger Abbey de Jane Austen.


"Quoique éclairé maintenant par le soleil couchant, la gothique grandeur de son architecture, ses antiques murailles de pierre grise, en faisaient un objet imposant et sinistre. La lumière s'affaiblit insensiblement sur les murs, et ne répandit qu'une teinte de pourpre qui, s'effaçant à son tour, laisse les montagnes, le château et tous les objets environnants dans la plus profonde obscurité. Isolé, vaste et massif, il semblait dominer la contrée."

La romancière nous emmène dans un long voyage à travers la France du Sud et l'Italie, en passant par de sombres et inquiétantes forêts, par de hautes montagnes et par de vieux châteaux. Udolphe, sombre ruine et lieu de séquestration, apparait comme un lieu central dans cette histoire. Sordides histoires de meurtres et de revenants, enlèvements et bandits patibulaires, airs mélancoliques s'élevant au loin, passés troublés et secrets de famille, le périple d'Emilie la confrontera à de multiples épreuves. Le mystère est très présent tout au long du livre ; la terreur et le délire imaginatif poussent une innocente jeune fille à douter face à l'anormal, à l'étrange et à l'inquiétant. L'héroïne, suite à de nombreuses péripéties, se retrouve séquestrée dans un antique château appartenant à son tuteur, lieu qu'elle visite souvent au beau milieu de la nuit, en quête d'explications, en quête de repères, mais aussi en quête d'elle-même. Les motifs de la verticalité et de l'immense sont récurrents, le roman semble habité d'anciennes peurs que l'on ne saurait plus aujourd'hui expliquer : sentiment de vertige et de terreur face à la violence des montagnes, la hauteur des murs, l'obscurité d'une forêt. Dans ces paysages déchirés, on touche au sublime, à ce sentiment d'effroi face à l'immensité du monde. Les descriptions sont nombreuses, et posent ce cadre étrange qui seul permet le surgissement du surnaturel - si surnaturel il y a. Les vieilles pierres sifflant sous les bourrasques du vent, le vacarme d'un brusque orage, l'obscurité qui baigne chaque couloir et chaque chambre. L'esprit s'emballe, et l'héroïne "croit voir", "pense apercevoir" ou "imagine". C'est là toute l'essence de la terreur dans ce roman.
Entre les jeux de lumières et les sons lointains, le lecteur est emmené bien malgré lui dans ces errances à travers une nature hostile ou au fil des corridors d'un château en ruine. Peu vraisemblable, plus dans la suggestion que dans l'horreur pure, ce livre conserve un charme désuet auquel on peut se laisser prendre, si l'on sait fermer les yeux et voir Udolphe, si l'on sait s'abandonner et sentir l'effroi, à la vue de spectacles innommables - et innommés jusqu'à la fin du roman - dissimulés derrière de mystérieux voiles noirs.

"Pendant que les roues tournaient avec fracas sous ces herses impénétrables, le cœur d'Émilie fut près à défaillir : elle crut entrer dans sa prison. La sombre cour qu'elle traversa confirmait cette idée lugubre, et son imagination, toujours active, lui suggéra même plus de terreur que n'en pouvait justifier raison. Une autre porte ouvrit la seconde cour ; de hautes herbes la couvraient de toute part. Elle était plus triste encore que la première. Émilie en jugeait à l'aide d'un faible crépuscule ; elle voyait ses hautes murailles tapissées de bryone, de mousse, de lierre, et les tours crènelées qui s'élevaient encore au-dessus. L'idée d'une longue souffrance et d'un meurtre assaillit ses tristes pensées. Une de ces subites et inexplicables convictions, qui s'emparent quelque fois des plus fortes âmes, frappa la sienne d'une soudaine horreur. Ce sentiment ne diminua pas quand elle entra dans une salle gothique immense, en proie aux ténèbres du soir. Un flambeau qui brillait au loin à travers une longue suite d'arcades, servait seulement à rendre l'obscurité plus sensible."

L'écriture est simple et agréable, dans un style relativement fluide. Assez archaïsante, elle porte les marques de son époque, ce qui rajoute au charme désuet de l'œuvre.* Quelques lourdeurs cependant, quelques longueurs aussi, après ces instants où la tension est à son comble. Au final, les moments de relâchement permettent au lecteur et à l'héroïne de reprendre leur souffle avant de rencontrer de nouveaux évènements tout aussi étranges et déstabilisant. Les Mystères d'Udolphe fut donc une agréable lecture, où je me suis laissée guider à travers de sombres paysages, aux côté d'Émilie et de quelques autres personnages. Ce roman conserve le gout particulier de son temps, à travers son style d'écriture, dans les différents motifs dont il hérite et qu'il recrée à son gout ; enfin, dans cette fascination pour les ruines et les magnificences de la nature.


* Je précise que j'ai lu cette œuvre dans l'édition Folio Classique, reprenant la traduction de Victorine de Chastenay légèrement revue par Maurice Lévy.

Une découverte toute récente. Déjà petite, je me faisais bercer par un ballet de dix courtes minutes sans me douter qu'il s'était inspiré d'un poème. C'est donc tout naturellement que j'ai cherché à illustrer ce poème par d'anciennes photos de ce ballet dansé à l'époque par Fokine et Nijinski, immortalisant le mythe et donnant vie aux vers.




Le spectre de la rose


Soulève ta paupière close
Qu'effleure un songe virginal ;
Je suis le spectre d'une rose
Que tu portais hier au bal.
Tu me pris encore emperlée
Des pleurs d'argent de l'arrosoir,
Et parmi la fête étoilée
Tu me promenas tout le soir.

Ô toi qui de ma mort fus cause,
Sans que tu puisses le chasser
Toute la nuit mon spectre rose
A ton chevet viendra danser.
Mais ne crains rien, je ne réclame
Ni messe, ni De Profundis ;
Ce léger parfum est mon âme
Et j'arrive du paradis.

Mon destin fut digne d'envie :
Pour avoir un trépas si beau,
Plus d'un aurait donné sa vie,
Car j'ai ta gorge pour tombeau,
Et sur l'albâtre où je repose
Un poète avec un baiser
Ecrivit : Ci-gît une rose
Que tous les rois vont jalouser




Musique : A-C Adam - Gisèle, apparition de Myrtha

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