{Billet Express}
C'est tout moi, ça : j'annonce un ralentissement-pause du blog et, le lendemain, je publie une note de lecture, ce n'est pas très logique. Mais je suis comme ça, moi : j'aime que les perspectives soient ouvertes, et j'apprécie parfois les contradictions. Je viens donc tuer un peu le propos de la précédente note pour vous dire quelques mots sur un bonhomme que j'aime bien : en effet, je viens de terminer les Moralités Légendaires de Jules Laforgue. Eh oui, encore lui, ce privilégié qui a eu le droit de figurer deux fois en poème du mois, respectivement ici et ici. Qu'en est-il alors, de ce recueil ?


Moralités Légendaires est composé de six textes courts, des "nouvelles qui ne sont ni du Villiers ni du Maupassant"selon le mot de l'auteur, presque autant de variations (très) libres autour de grands mythes occidentaux. De Salomé à Hamlet, Laforgue jongle avec d'immenses figures sans se départir un instant de sa désinvolture et de son ironie. En effet, ces fables qui paraissent pourtant bien insouciantes sont toutes traversées d'une ironie et d'un humour assez grinçants : cascades d'anachronismes, ridicules divers, décalages de ton habilement ménagés, l'auteur ne lésine pas sur les moyens. A l'époque où Laforgue écrit, la mode est à la parodie et les artistes se plaisent à maltraiter la mythologie ; sa démarche n'est donc pas vraiment novatrice. Mais il a une façon de le faire tout à fait plaisante : ces fables sont en effet imprégnées de légèreté et de poésie. D'une certaine mélancolie mais chez notre poète exclamatif, elle est toujours discrète, présente mais toujours à demi-mots, se cachant habilement derrière les rires. Ces illustres personnages resemblent à de grandes marionnettes un peu débiles, et on est amené à sourire de leur présomption, de leurs échecs, de leur faiblesse : Laforgue alors riait de lui-même, en prêtant à ses pantins des aspirations, des goûts et des jugements qui lui sont propres. Funambulesque. C'est au final un singulier objet littéraire que ces Moralités Légendaires qui, sous couvert de n'importe quoi, permettent d'entrer dans cet univers particulier aux divinités lunaires et aux clowns grimaçants, suscitant au final de vraies questions, entre deux invraisemblances. Une bien belle découverte !

"Puis des intermèdes d'horizontaux cyclones de fleurs électrisées, une trombe horizontale de bouquets hors d'eux-mêmes ! ...
Puis des clowns musiciens portant au cœur la manivelle de réels orgues de Barbari qu'ils tournaient avec des airs de Messies qui ne se laisseront pas influencer et iront jusqu'au bout de leur apostolat.
Et trois autres clowns jouèrent l'Idée, la Volonté, l'Inconscient. L'idée bavardait sur tout, la Volonté donnait de la tête contre les décors, et l'Inconscient faisant de grands gestes mystérieux comme un qui en sait au fond plus qu'il n'en peut dire encore. Cette trinité avait d'ailleurs un seul et même refrain :

O Chanaan,
Du bon néant !

Néant, la Mecque
Des Bibliothèques !

Elle obtint un succès de fou rire."
Laforgue, Salomé


Image : Lévy-Dhurmer, Salomé embrassant la tête de St Jean Baptiste
Musique : The Smashing Pumpkins - Pug

La tête dans les cartons.


Juillet promet d'être un mois chargé : déménagement, petit boulot d'été, emménagement et aménagement d'une chambre et d'un bureau, je n'aurais sans doute pas beaucoup de temps pour souffler. Mes lectures se feront sans doute un peu plus rares, alors que dire des mes billets de blog ? Plumes verra donc ralentir son rythme de publication pour le mois à venir. Je n'ose prononcer le mot de "Pause" : je veux me ménager la possibilité de revenir poster si j'en ai le temps et l'envie. Ne serait-ce que pour le poème du mois, auquel je suis déjà en train de réfléchir : lequel choisir ?

Pour ce qui est de mes lectures du moment, je ne sais trop quelle attitude adopter. Ce mois chargé m'empêchera peut-être de savourer de longues lectures suivies, de continuer l'essai de Simone de Beauvoir à peine commencé. C'est un peu la même chose du coup : rien n'est en "pause", tout est en sursis. Cela dépendra de ma fatigue, de ma motivation, du temps que je peux consacrer à la lecture. Je préfère ne pas me forcer et je laisse les perspectives ouvertes. Comme ça, quand je reviendrais, une fois installée dans ma nouvelle chambre, j'aurais - je l'espère - plein de choses à raconter. Ma PAL immédiate sera la dernière à disparaître dans un carton.

A très bientôt !

Amicalement,


L'enfant et les livres

Et voici un petit tag qui vient de chez Romanza : avec ses deux questions, il me permet de m'interroger un court instant sur mon rapport aux livres durant mon enfance.


  • Depuis quand dévorez-vous des livres ?
Depuis toute petite. Il paraît que j'adorais, bébé, feuilleter les magazines qui avaient le malheur de me passer sous la main - un bébé ne sait pas très bien feuilleter et endommage facilement ce qu'il touche. Plus tard, j'adorais qu'on me lise des histoires : j'avais toute une collection de livres avec cassette audio à écouter, ma mère me lisait souvent des contes à haute voix. Il y a même une vidéo où je récite complètement un livre pour enfants (La belle et la bête, version Disney), en tournant les pages au bon endroit : je ne savais pas encore lire, je connaissais juste le livre par cœur. Quand j'ai su lire, je me suis rapidement jetée sur les petits romans de la bibliothèque bleue, destinés aux tous jeunes lecteurs.

  • Mes 'classiques' enfantins ?
La liste est plutôt longue : j'ai énormément lu quand j'étais enfant. Sur le moment, j'adorais les différentes histoires de ces romans jeunesse (mais dans les collections, je ne choisissais que les histoires concernant les animaux) mais je n'en ai pas gardé de souvenir impérissable. En revanche, j'ai été fortement marquée par deux œuvres de Jack London : Croc-Blanc et L'appel de la forêt, par Akita de Bernard Clavel (qui m'a arraché des larmes), par L'oeil du loup de Daniel Pennac ou encore par Père Loup de Grimmaud (cette histoire entre un loup et un clown m'avait paru vraiment bouleversante). Comme vous pouvez le remarquer, je m'intéressais beaucoup aux animaux à l'époque, et il ne vous sera sans doute pas difficile de deviner mon animal favori. Dans un tout autre registre (c'est à dire en ce qui concerne la littérature parlant de mes congénères de l'époque : les enfants) j'ai lu une grande partie des œuvres de la Comtesse de Ségur, Poil de Carotte de Jules Renard, Matilda de Roald Dahl (qui me paraissait très drôle et dont je saisis aujourd'hui la finesse et la portée critique). J'étais enfin une grande amoureuse des contes, je le suis d'ailleurs encore. J'ai donc savouré avec délices les grands classiques des contes et autres histoires courtes, du Roman de Renart à Perrault et de Grimm à Andersen, mais aussi Les contes de la rue Broca de Pierre Gripari (drôles et pleins d'originalité) et Les contes du chat perché de Marcel Aymé (que j'ai relus il y a peu et qui sont tout aussi intéressants à découvrir maintenant, si ce n'est plus). Autant de bon souvenirs de lecture, d'images qui demeurent dans un coin de ma tête, de sentiments et d'impressions confus et que je retrouverais bien, le temps d'une relecture.

Voilà voilà ! Je pars à présent en quête de bloggueurs à taguer ... ;)
Mes victimes : Madame Charlotte, Samael, ...

Après Théophile Gautier, j'avais besoin d'une lecture plus légère, une lecture-détente qui me permettrait de me ressourcer. Par chance, c'est à ce moment-là qu'une enveloppe d'Aelys est arrivée chez moi : celle-ci contenait deux ouvrages dont Trafic de reliques d'Ellis Peters. C'est sur ce roman que j'ai jeté mon dévolu. Avant de donner en quelques mots mes impressions, voici la quatrième de couverture : Une abbaye bénédictine peut-elle décemment attirer les foules sans reliques consacrées ? Non, répond le prieur de Shrewsbury, en cet an de grâce 1138. qu'à cela ne tienne, le pays de Galles voisin a des saints pour chaque jour de l'année, et même plus ! Sainte Winifred, bien négligée par ses voisins, apparaît alors à un jeune moine. Un signe du ciel. L'abbaye envoie donc une délégation au village gallois. Lequel n'entend pas se faire enlever sa sainte, comme le proclame haut et fort le seigneur du lieu... qui meurt le lendemain. Vengeance divine ou bien les hommes s'en sont-ils mêlés ? Justement, parmi les moines de Shrewsbury envoyés sur place se trouve frère Cadfael, habitué à enquêter sur des crimes.

J'ai donc mis de côté ma PAL classiques un instant, pour me plonger dans un bain plutôt rafraichissant de littérature contemporaine et policière. L'intrigue est, il faut dire, assez prenante : le lecteur, pris au jeu, veut résoudre l'énigme. Les derniers chapitres, après une sensible accélération du rythme, présentent un dénouement pour le moins inattendu ! Au delà de ça, j'ai trouvé ce livre intéressant par la plongée qu'il propose au cœur du XIIème siècle, par la tension qu'il met en scène entre deux systèmes de société. En effet, l'intrigue présente un face à face plutôt tendu entre Angleterre et Pays de Galles, entre système figé et policé, à l'image de l'organisation très hiérarchisée de l'abbaye, et système plus lâche et moins dévolu aux autorités à l'image des ces campagnes galloises. Le personnage principal, ce moine investigateur nommé Cadfael, est assez attachant : à plus de cinquante ans, cet ancien croisé se fie à son expérience et à sa logique pour résoudre les meurtres. Plus ou moins détaché de la règle bénédictine (tout en demeurant religieux, c'est tout de même un moine), celui-ci cherche avant tout la tranquillité, ce qu'il a trouvé en cultivant son jardin dans l'abbaye de Shrewsbury.

Trafic de reliques est un des premiers livres d'une longue série. J'ai vraiment apprécié cet ouvrage, qui a représenté pour moi une vraie bouffée d'air frais entre mes lectures du moment. D'ailleurs, après un passage à la librairie aujourd'hui, j'ai ramené un autre tome de cette série : L'Hérétique et son commis. Merci Aelys, pour cette recommandation !

Musique : Julien Doré - J'aime pas
Image : crushone on Deviantart


Difficile de commencer un billet à propos de cette œuvre ... Tout d'abord, d'un point de vue strictement subjectif, je ne saurais dire si j'ai apprécié ou non ce roman. Il me laisse comme une impression floue, mal définie, entre le sucré et l'amer. Et le problème ne se résout pas vraiment avec une approche plus méthodique. J'ai découvert Mademoiselle de Maupin directement, en passant outre l'introduction de mon édition et la longue préface de l'auteur : j'aime avoir un regard neuf sur une œuvre, pouvoir me laisser surprendre, me tromper parfois dans mes interprétations. Ce n'est qu'après que je lis l'appareil critique, afin de consolider un jugement que j'aurais déjà plus ou moins échafaudé toute seule. Dans le cas de ce roman, les choses ne sont pas simples : outre le fait que je n'ai pas compris grand chose à l'introduction, la préface écrite par Gautier semble totalement indépendante, constituant à la fois un manifeste de l'écriture romantique et une attaque virulente envers les critiques journalistiques. De plus, ce qui m'a sans doute également gênée, c'est que je ne me suis pas retrouvée en terrain connu, contrairement à ce que je pensais. J'avais en effet déjà lu du Théophile Gautier, notamment le recueil des Récits fantastiques, mais Mademoiselle de Maupin est un récit d'un tout autre genre.
Au final, beaucoup d'éléments amènent à un bilan de lecture plus que mitigé. N'étant pas vraiment habituée à rédiger des critiques un peu négatives - j'ai eu la chance, ces derniers temps, de ne pas tomber sur de mauvaises surprises ; et je chronique rarement un livre qui m'a indifférée- , j'opterais pour une organisation certes simpliste mais qui m'aidera à évoquer les éléments importants de l'ouvrage sans trop me disperser. Il s'agit d'une simple et bête répartition entre points positifs et points négatifs - selon un jugement, je le repète, tout à fait subjectif. Afin de ne pas terminer sur une note trop noire, je commencerai par ce qui m'a gênée avant d'évoquer les éléments qui m'ont semblé plaisants et intéressants.


~ La rébellion romantique.

De forme hybride, ce roman commence sous forme épistolaire, avec la voix de d'Albert, jeune homme mélancolique et idéaliste, poète amoureux du concept de Beauté. Ce dernier écrit des lettres interminables à son ami, où il s'épanche le plus littérairement possible, lui contant ses dernières aventures à grands renforts de lamentations diverses. Ne m'étant pas renseignée quant à la date d'écriture du roman, j'ai pensé au départ être en face d'une parodie. Et assurément, on sent qu'avec ce roman, Gautier va aller plus loin que le lyrisme romantique. D'Albert lui-même en vient parfois à mettre son discours à distance et à considérer son attitude avec une légère ironie. Cependant, la première moitié du roman - environ - lui donne la parole, et le lecteur est bien obligé de le suivre dans sa quête désespérée d'idéal. Une première chose, donc, à reprocher à ce roman : son ton et son écriture. Que ce soit par le biais de d'Albert ou par celui d'autres personnages, les descriptions-types sont légion : quand le souvenir des temps passé amène à la mélancolie, quand le coucher de soleil et le temps morose se font le reflet de l'âme, quand les jardins et les bois se font le cadre bucolique des jeunes amours. Passionnés et flamboyants, ces élans de la part des personnages contribuent à nous les rendre lointains et inaccessibles. Etrangement, je n'ai quasiment jamais été gênée par la longueur des lettres à la lecture de La Nouvelle Héloïse, mais ici je n'ai pas réussi à jouer bien longtemps le pacte de la fiction. Dès le premier chapitre, j'ai considéré ces passages de "lettres" autrement, l'écriture se tenant si éloignée du genre épistolaire.
Pour rester dans des considérations de genre, ce roman est écrit de façon assez originale : je viens de parler d'épistolaire, et la majeure partie de cet ouvrage consiste en des lettres écrites par d'Albert et Mademoiselle de Maupin à leurs confidents respectifs. A cela s'ajoutent des chapitres de narration ainsi qu'un dialogue assez proche du théâtre. Ces changements de procédés d'écriture auraient pu, à mes yeux, constituer une innovation intéressante, notamment en matière de rythme et de dynamique du récit. Cependant, la répartition est très inégale : d'une évolution très lente au début du roman, on assiste à une très forte accélération du rythme narratif à la fin du livre, quand Mademoiselle de Maupin/Théodore conte son évolution dans le monde. Technique plutôt audacieuse que cette alternance entre dialogue théâtral, récit et lettres, mais son utilisation, outre la surprise qu'elle peut provoquer, ne m'a pas semblé aussi féconde au niveau du sens qu'elle n'aurait pu l'être. En restant dans le thème de la surprise et de la provocation, il conviendrait de dire un mot sur la préface, qui m'a laissé une impression aussi - voire plus - mitigée encore que le texte. Celle-ci contient une attaque en règle des critiques littéraires journalistiques, pas inintéressante du tout mais qui se révèle douteuse sur certains points. La préface de Mademoiselle de Maupin - et où il n'est presque pas question de Mademoiselle de Maupin - est un véritable manifeste, prônant l'art pour l'art avec un ton plus que polémique. Drôle et irrévérencieuse, cette préface me semble pourtant, dans la volonté de provoquer la plupart du temps, aller un peu loin, non dans son propos direct, mais dans ce qu'il peut sous-entendre.
De cette lecture, je garde donc une impression de longueur, avec une accélération soudaine en fin de récit ; un rythme sans doute voulu, mais qui, en tant que lectrice, ne m'a pas du tout convaincue.


~ Originalité et audace.

D'un autre côté, la façon dont Théophile Gautier traite le triangle amoureux est tout à fait intéressante. Il faudrait d'ailleurs pour être plus exact parler de double triangle : les personnages concernés ne sont que trois, il est vrai, mais chacun d'entre eux se caractérise par une double attirance. Au final, Gautier instaure une tension constante entre les chimères, les fantasmes d'un côté et le réel de l'autre. D'Albert a Rosette pour maîtresse et aurait toutes les raisons du monde pour être satisfait, mais celui-ci ne peut s'empêcher de songer à la Beauté idéale, beauté qu'il trouve comme en réminiscence chez Théodore/ Mademoiselle de Maupin. En vérité, il n'y croyait plus, tout déçu qu'il était déjà de la médiocrité du réel : avant la rencontre avec l'élu(e) de son cœur, la Beauté pour d'Albert semble descendre d'un ciel platonicien ; après avoir vu Théodore, le jeune homme se souvient de cet idéal qu'il poursuit et rend compte qu'il existe bien une personne -et une seule- qui correspond à l'idée qu'il se fait de la beauté. Pour en revenir à nos deux autres membres du triangle, Rosette est folle amoureuse de Théodore/Mademoiselle de Maupin qui ne cesse de la repousser tout en ayant une relation avec le jeune d'Albert. La relation entre les deux femmes est condamnée, selon les mots mêmes du texte, à demeurer un amour platonique - pas si platonique que ça au final - alors que leurs caractères se conviennent à merveille. Enfin, en ce qui concerne le personnage éponyme, il est tiraillé entre ses deux soupirants, se sentant à la fois homme et femme, et ne trouvant la complétude dans aucune de ces deux possibilités.
Complétude, recherche de l'amour idéal et de l'âme sœur, on est en plein dans le mythe de l'androgyne. Gautier n'est pas le seul, à l'époque, à se pencher sur ce thème : Balzac avait déjà publié Sarrasine cinq ans plus tôt. Le motif de l'ambigüité sexuelle est pourtant traité ici avec une audace que je n'aurais pas soupçonnée, que ce soit dans les discours que tiennent les personnages sur eux-mêmes ou dans l'évocation de scènes érotiques. Mademoiselle de Maupin est un roman emprunt de sensualité et refusant ce qui, habituellement, passait à l'époque pour tabou. Pour faire un nouveau parallèle avec la préface, on peut se réjouir que Théophile Gautier ait rejeté les conventions morales de son temps pour écrire son roman : cela donne en effet une certaine force et une certaine vérité aux aventures sentimentales des trois personnages. Enfin, ce roman m'a tout de même tenue en haleine jusqu'au bout par la richesse du personnage de la Maupin. L'image qu'elle donne de la condition féminine à l'époque me semblait intéressante, image qu'elle a par ailleurs rejetée en choisissant de se travestir pour découvrir le monde. Il y a quelque chose de touchant et de désespéré dans cette démarche qui l'amène à découvrir la vérité sur les rapports entre les deux sexes, et tue par la même occasion toute possibilité de croire en ce beau concept d'Amour -que, décidément, tous les personnages de ce roman aiment à faire fleurir un peu partout.

~*~
Roman à chimères et à fantasmes, Mademoiselle de Maupin propose le tableau complexe de trois passions en marche, le portrait de trois personnages en conflit avec leur identité et leurs désirs. Ce fut pour moi une lecture laborieuse, mais malgré ses longueurs et son écriture bien trop romantique à mon goût, ce roman m'apparaît comme une œuvre riche et foisonnante, sensuelle et audacieuse ; une œuvre qui évoque, malgré son âge, des réalités qui aujourd'hui encore demeurent taboues.

Images : mehmeturgut on Deviantart

J'avais initialement choisi, pour la lettre N du challenge ABC, un texte de Nodier : Smarra. Simplement, celui-ci s'est vite révélé introuvable (à part une toute petite édition en ligne sur Gallica, assez pénible à lire). Je me suis alors tournée vers une nouvelle de Gérard de Nerval, auteur que je ne connais pas du tout du tout, en portant mon dévolu sur Aurélia.
On y découvre le récit d'un voyage onirique où le songe ne cesse de contaminer le réel, d'égarer par ses illusions le poète errant. Dans cette nouvelle se succèdent les instant de lucidité où notre narrateur s'interroge sur la signification de ces visions et les moments de pur délire, où l'on poursuit une ombre avec lui, hors de tous repères - chronologiques, géographiques, etc.

"Le Rêve est une seconde vie. Je n'ai pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Les premiers instants du sommeil sont l'image de la mort ; un engourdissement nébuleux saisit notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l'instant précis où le 'moi', sous une autre forme, continue l'œuvre de l'existence. C'est un souterrain vague qui s'éclaire peu à peu, et où se dégagent de l'ombre et de la nuit de pâles figures gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparitions bizarres ; - le monde des Esprits s'ouvre pour nous."

Cette courte nouvelle, à l'évolution pour le moins mystérieuse, se pose comme une réflexion sur ce qu'est le rêve. Au début de son récit, et à sa conclusion, Nerval tente de trouver le lien qui unit le songe au réel, le premier n'étant selon lui qu'un reflet troublé et grimaçant du second. Aurélia est donc présentée comme l'exploration par le poète des tréfonds de son âme. Entreprise aux multiples dangers car autour du rêve plane la démence. En effet, la traversée de cet autre monde est jalonnée d'épreuves et de visions effrayantes ; le voyage s'apparente finalement à une Nekuia, une lente et laborieuse descente aux enfers sans que l'on distingue toujours, dans les brumes du rêve, la porte de sortie. Au dernier paragraphe, pourtant, le narrateur émerge de ses brouillards : ayant suivi un fil d'Ariane invisible, il est sauvé . A côté de lui pourtant, un homme demeure persuadé qu'il est mort et qu'il se trouve au Purgatoire ; ses yeux sont éternellement clos : tout le monde n'a pas la chance de sortir de ses propres illusions ...
Cette quête folle, tout au long de la nouvelle, passe par la poursuite d'une femme, d'un souvenir de femme. Aurélia est morte, son souvenir hante sans cesse les rêves du narrateur, mais elle n'y est souvent présente que sous la forme d'une ombre, d'un fantôme, d'une ressemblance. Son prénom quant à lui se perd, au fil de la nouvelle. Titre du texte, il disparait progressivement et s'intègre dans un conglomérat de visions : Aurélia, les femmes aimées, la figure maternelle, la déesse Isis, les divinités féminines.

Œuvre catharsique qu'il tenait beaucoup à écrire afin d'extérioriser son ressenti, Aurélia est la dernière nouvelle - inachevée - de Gérard de Nerval. On le retrouvera pendu dans une ruelle sordide en Janvier 1855. Aurélia est une œuvre étrange baignée de folie, où le rêve est bien souvent cauchemar et où ce que l'on poursuit s'estompe de plus en plus jusqu'à disparaitre. Très personnel et peut-être un peu gênant parfois, ce texte aux multiples références surprend à chaque page. Gérard de Nerval réalise dans cette nouvelle un tour de force : réussir à décrire par introspection les méandres de son intériorité, entremêler réalité et fantasme par le biais de l'écriture littéraire.

Image : littlemewhatever on Deviantart

Histrions et saltimbanques.

Il y avait un spectacle qui passait sur Arte ces derniers jours, et dont la présentation m'avait quelque peu interpelée. Je l'ai regardé sur le site de la chaîne, dans une petite fenêtre, après m'être lamentée d'avoir manqué la diffusion. Ce spectacle n'est autre qu'un spectacle de clowns intitulé Semianyki - ce qui signifie la famille. Je retranscris ici la description, proposée par la chaîne : "Peut-on tuer le père à l'aide de sparadrap ? Chasser à l'intérieur d'un piano ? Plumer un canard à roulettes ? La vie de famille vue par le Teatr Licedei, c'est une chaloupe folle où s'enchaînent à un train d'enfer effets spéciaux, danses, sketches, émotions, catastrophes et fous rires. Un chaos domestique dans lequel, contre vents et marées, l'amour circule et la vie continue."

Ces clowns iconoclastes dressent le portrait d'une famille déjantée, à grands renforts de bruitages, mimes, acrobaties et effets de lumière. Le tout, sans paroles. On finit par entrer à leur suite dans ce quotidien impossible, entre un père alcoolique toujours prêt à partir, une mère enceinte jusqu'aux dents, et quatre enfants presqu'incontrôlables qui se battent pour exister. Surprenant, parfois inquiétant, souvent drôle, Semianyki apparaît comme un spectacle inclassable, au carrefour de multiples influences : cinéma muet, tradition du mime, cirque, spectacles contemporains. Dans le bric-à-brac miteux de cette maison se succèdent les sketches les plus innocents et les plus cruels, à l'image de la vie et de ses rebondissements. Quant au public qui pensait pouvoir regarder le spectacle tranquillement, à distance, confortablement installé dans son fauteuil, il est introduit bien malgré lui dans ce désordre généralisé, pris à partie, aspergé, invité sur scène ou encore bombardé d'oreillers. J'ai passé un très agréable moment devant mon écran, à découvrir les mésaventures de cette famille de pitres si drôles, à dessein ou bien malgré eux selon les situations.

Cela fait déjà pas mal de raisons pour apprécier ce spectacle. Je me permettrai pourtant d'en rajouter une, particulièrement personnelle. Beaucoup de gens avouent avoir peur des clowns et moi-même, je ne sais pas trop comment considérer ces étranges personnages au visage enfariné et au nez barbouillé de rouge. Je me souviens d'un soir d'insomnie, où je m'étais affalée devant la télévision : ce jour-là, Arte diffusait un documentaire ou un film, qui portait sur les clowns italiens et leur histoire ; a posteriori, je crois pouvoir dire qu'il s'agissait du film de Fellini, même si je n'en conserve que quelques images un peu floues. Peu importe, au fond. Toujours est-il que ces personnages étaient inquiétants, à gesticuler en tous sens avec leur "face imberbe au cold-cream" et leur "air d'hydrocéphale asperge"1 ... Pourtant, j'étais incapable de trouver en quoi, précisément, je les trouvais effrayants. Je pense que ce qui m'avait alors impressionnée, c'était cette folie furieuse qui semblait les agiter, cette violence, cette énergie vitale et, aussi, cette apparente irresponsabilité. On me pardonnera le parallèle un peu naïf, mais c'était la troupe comique dans le film Dumbo de Walt Disney, qui laisse brûler l'enfant tout en aspergeant les fleurs. Liée au clown et particulièrement au clown blanc, il y a aussi la figure du Pierrot qui m'attire, ce "rêveur lunaire du vieil air"2 tour à tour drôle - à ses dépens -, mélancolique et inquiétant.

Alors c'est aussi pour ça que Semianyki m'a attirée et que, je n'ai pas su l'arrêter une fois la vidéo lancée. Devant cette représentation, j'ai ressenti cette énergie vitale et cette folie douce qui m'avait déjà marquée, à la vue du documentaire et de ses vieilles images. La réalité transparaît jusque dans les gestes les plus outrés et les grimaces les plus grotesques ; on l'entrevoit sans peine derrière l'humour grinçant. Il y a quelque chose qui m'a touchée dans ce spectacle, et je ne saurais dire exactement quoi. Comme cette figure de clown triste errant dans L'ange bleu, comme ces poèmes de Jules Laforgue que je me plais à relire sans cesse, comme ces images lointaines qui ont presque disparu de ma mémoire. La troupe du Licedei propose, à travers cette représentation, un véritable art burlesque mis en scène avec beaucoup d'originalité, mêlant la démence à la poésie, l'absurde à l'émotion. Clownesque, mais s'assumant comme tel.


{Pour information, le spectacle est rediffusé sur Arte
le lundi 9 juin 2008 à 09:55, le 15 à 9h15 et le 18 à 03h.}

Images
: Affiche de Semianyki.

Citations : 1. Pierrots I de Laforgue.

2. Pierrot de Verlaine.

Le poème que j'ai choisi en ces premiers jours de Juin s'intitule, tout à fait paradoxalement, Eclaircie en hiver. Il s'agit d'un poème en prose de Francis Ponge que j'ai trouvé en feuilletant le recueil Pièces que j'avais sorti des étagères d'une librairie, un jour, pour l'emmener avec moi. Sans trop savoir pourquoi. Parcourant l'ouvrage, j'ai eu du mal à me décider, et le choix d'un poème fut assez difficile - alors que je négligeais déjà volontairement une grande majorité de poèmes pour des raisons de longueur. Bref, mon choix s'est arrêté sur celui-ci, alors qu'une pluie orageuse déferle sur les toits de Cambrai.


Eclaircie en hiver.

Le bleu renaît du gris, comme la pulpe éjectée d’un raisin noir.
Toute l’atmosphère est comme un œil trop humide, où raisons et envie de pleuvoir ont momentanément disparu.

Mais l’averse a laissé partout des souvenirs qui servent au beau temps de miroirs.


Il y a quelque chose d’attendrissant dans cette liaison entre deux états d’humeur différente. Quelque chose de désarmant dans cet épanchement terminé.


Chaque flaque est alors comme une aile de papillon placée sous vitre,
Mais il suffira d’une roue de passage pour en faire jaillir la boue.


Image : William Turner -Norham Castle, Sunrise (1845)

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