Pour le poème du mois d'Avril, je change tout à fait d'époque, et je retourne un instant au XVIIème siècle. C'est pour vous citer, un peu en avance, une fable que j'aime beaucoup et qui demeure, il me semble, tout à fait actuelle. Je me permets ce petit soir d'avance car je serai plus ou moins absente du Net cette semaine : les exposés, contrôles continus et autres devoirs se sont accumulés, et j'aurai beaucoup de travail jusque vendredi. Ce soir, pour me détendre, j'ai tout de même décidé de penser au poème du mois, et j'ai eu, à cette occasion, le plaisir de relire ce petit apologue qui, j'espère, vous séduira.


Le savetier et le financier

Un Savetier chantait du matin jusqu'au soir :
C'était merveilles de le voir,
Merveilles de l'ouïr ; il faisait des passages,
Plus content qu'aucun des sept sages.
Son voisin au contraire, étant tout cousu d'or,
Chantait peu, dormait moins encor.
C'était un homme de finance.
Si sur le point du jour parfois il sommeillait,
Le Savetier alors en chantant l'éveillait,
Et le Financier se plaignait,
Que les soins de la Providence
N'eussent pas au marché fait vendre le dormir,
Comme le manger et le boire.
En son hôtel il fait venir
Le chanteur, et lui dit : Or çà, sire Grégoire,
Que gagnez-vous par an ? - Par an ? Ma foi, Monsieur,
Dit avec un ton de rieur,
Le gaillard Savetier, ce n'est point ma manière
De compter de la sorte ; et je n'entasse guère
Un jour sur l'autre : il suffit qu'à la fin
J'attrape le bout de l'année :
Chaque jour amène son pain.
- Eh bien que gagnez-vous, dites-moi, par journée ?
- Tantôt plus, tantôt moins : le mal est que toujours ;
(Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes,)
Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours
Qu'il faut chommer ; on nous ruine en Fêtes.
L'une fait tort à l'autre ; et Monsieur le Curé
De quelque nouveau Saint charge toujours son prône.
Le Financier riant de sa naïveté
Lui dit : Je vous veux mettre aujourd'hui sur le trône.
Prenez ces cent écus : gardez-les avec soin,
Pour vous en servir au besoin.
Le Savetier crut voir tout l'argent que la terre
Avait depuis plus de cent ans
Produit pour l'usage des gens.
Il retourne chez lui : dans sa cave il enserre
L'argent et sa joie à la fois.
Plus de chant ; il perdit la voix
Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines.
Le sommeil quitta son logis,
Il eut pour hôtes les soucis,
Les soupçons, les alarmes vaines.
Tout le jour il avait l'oeil au guet ; Et la nuit,
Si quelque chat faisait du bruit,
Le chat prenait l'argent : A la fin le pauvre homme
S'en courut chez celui qu'il ne réveillait plus !
Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme,
Et reprenez vos cent écus.

Bon anniversaire, le blog !

Un an que je gribouille sur mes lectures, plus ou moins régulièrement. Que je poste un poème qui me plaît chaque mois. Après avoir plus amplement découvert la sphère des blogs littéraire, je réalise cette année mon premier Challenge ABC.
C'est finalement passé vite, et j'ai pris l'habitude d'écrire ces petites notes, de les illustrer, de réfléchir sur les derniers livres que j'ai lus et de faire part de mes impressions. Une expérience enrichissante, pleine de découvertes, d'autant plus que cela s'accompagne des visites sur les blogs voisins.


Mon blog fêtait son premier printemps hier !

J'écris ce court billet afin de parler un court instant de mes lectures, en ce moment. A vrai dire, je ne sais pas exactement où j'en suis et picore beaucoup, ça et là, sans oser commencer quelque chose d'un tant soit peu conséquent. Ma PAL est devenue tout à fait monstrueuse et compte, bien entendu, des ouvrages empruntés que je dois rendre d'ici peu. Avec les cours et les nombreux devoirs, il m'est souvent difficile de me consacrer à le lecture, des heures durant. Alors je m'interroge, car il faut que je lise quelque chose qui m'intéresse tout particulièrement durant ces trop courtes heures qui me restent, et non "perdre mon temps" devant des choses qui ne me transcendent pas.

A vrai dire, Dickens m'ennuie. J'ai fait l'erreur de le lire après Thackeray et sa verve caustique, du coup il me paraît tout à fait sirupeux et bien-pensant. Alors j'ai du mal. Cette lecture me pèse et dure depuis le début du moins, à raison d'un chapitre ou deux par soir. Pendant ce temps, je ne peux m'empêcher de jeter un regard, de temps à autre, à ma PAL brinquebalante, et aux ouvrages qui m'attirent. Je pense, même si je m'en veux un peu de faire ça, laisser de côté Oliver Twist pour l'instant, je le reprendrai au moment voulu, le jour où j'aurais moins de travail, moins d'échéances. Cela faisait longtemps que je n'avais pas abandonné un livre -sans compter La nuit et le moment de Crébillon au semestre précédent - mais je n'y arrive vraiment pas : ma lecture est lente et poussive, je la percevrais presque comme une contrainte. Alors je presse le bouton "Pause" et je me dis que j'y reviendrai plus tard ... A présent, j'ai vraiment envie de me faire plaisir et de découvrir des romans, voire des auteurs qui me tentent depuis longtemps.

Je n'ai plus qu'à vous dire : à très bientôt !


...

En passant, si cela vous intéresse, deux nouveaux articles ont été publiés sur Bidulbuk par mon collègue Antisthène Ocyrhoé :
Oh, et dans 6 jours, ce blog aura un an ... =)

Musique : Miss Dominique - Calling You

"Tapisserie usée et surannée,
Banale comme un décor d'opéra,
Factice, hélas ! comme ma destinée ?"
Verlaine, Allégorie

Le choix d'une oeuvre pour la lettre L ne fut pas une mince affaire. J'ai longtemps pensé découvrir Les chants de Maldoror de Lautréamont, oeuvre atypique dont j'avais beaucoup entendu parler jusque là. D'hésitations en hésitations, j'ai songé à relire plus attentivement l'un des recueils de poésies de Jules Laforgue, avant de me dire que j'embêtais beaucoup mes lecteurs avec ce bonhomme-là (n'a-t-il pas déjà été à l'honneur deux fois pour le poème du mois ?) C'est finalement en empruntant cette anthologie à la bibliothèque que je suis tombée sur "l'auteur-en-L" pour mon challenge ABC : Jean Lorrain.

Monsieur de Bougrelon est un écrit de longueur intermédiaire qui se situe à mi-chemin entre le roman et la nouvelle. Le narrateur et son compagnon, deux touristes perdus dans une Amsterdam brumeuse, se font guider par un étrange personnage, espèce de vieil aristocrate mal fagoté qui leur conte les impressions et les souvenirs de son vieux temps. Exilé de sa terre natale, ce "vieux-beau" aux allures de dandy les emmène au gré de ses envies et leur fait découvrir une toute autre réalité. Plus poétique, plus étrange, plus malsaine également. Le livre est donc constitué des différentes évocations de Monsieur de Bougrelon qui apparaît et disparaît de manière inattendue à chaque chapitre et qui ne cesse de parler à nos deux personnages, sans ordre véritable, par associations d'idées.

Le style de ce petit texte m'a tout de suite sauté aux yeux. Très descriptif, usant d'un vocabulaire et de comparaisons marquantes, il a le mérite de nous dresser un tableau vivant des visions du "vieux fantoche", comme aime à l'appeler le narrateur. En effet, nous avons affaire à une subjectivité, à un point de vue précis et non à un énoncé objectif d'une réalité du monde. Toute la ville d'Amsterdam, ses monuments, ses musées, ses visages errant dans les rues, tout passe par la vision du personnage : nous avons affaire à un esprit qui énonce ses propres jugements, à un œil qui déforme le réel à sa guise. Et il ne s'agit pas de n'importe quel conscience : Monsieur de Bougrelon est un vieillard, vestige d'une époque passée et révolue depuis bien longtemps, un homme-poupée qui s'attife et se maquille et qui ne tient plus que par le souvenir et l'artifice, un être qui refuse le monde d'aujourd'hui avec ses technologies, ses nouvelles classes. Le vieux bonhomme, fantôme anachronique, en parfait décalage avec tout ce qui se passe autour de lui, finit par devenir presque nécessaire aux deux touristes, ravagés par l'ennui et le dégoût.
Avec cette histoire, Jean Lorrain jongle assez habilement avec un mythe en créant une figure ambigüe, entre le personnage intemporel au phrasé poétique, qui joue avec les mots, les images avec emphase, et le vieil homme fatigué de son temps, figure fragile et grotesque. Ce court roman rassemble, à travers ses souvenirs, une collection de vices, d'étrangetés, sorte de cabinet de curiosités, intriguant et malsain à la fois. Entre l'Espagnole tatouée aux 15 gemmes incrustées dans la peau, le regard vert des Barbara(s), l'ananas en bocal, la description de la salle des costumes du musée, véritable "Boudoir des Mortes", Monsieur de Bourguelon, la fourrure d'un caniche dépecé en guise de manchon, nous invite au voyage, mais un voyage morne et las, dans un passé peuplé de spectres, pour fuir un présent qui fait peur.
Entre produit de l'imagination, réalité triste et saltimbanque de foire, Monsieur de Bourguelon est une figure assez marquante, touchante, mystérieuse et drolesque à la fois. Vision diaphane prête à s'évanouir dans les brumes, il nous apparaît finalement dans sa morne vérité : grand aristocrate désargenté ou vulgaire musicien de cabaret, il n'en reste pas moins une image parmi d'autres de gentilhomme hautain, inaccessible et décadent.

Une étonnante découverte.


Images : Adrien Étienne Drian (1885–1961)
pour l'édition de Monsieur de Bougrelon, Paris, Devambez (1927)

Marionnettes, voilà comment Thackeray présente ses personnages dès les premières lignes de ce livre épais qu'est La foire aux Vanités. Ce roman étale devant nos yeux une galerie riche en personnages ; sans héros prédéfini, le metteur en scène dirige les lumières de ses projecteurs d'un protagoniste à l'autre, sans jamais s'arrêter trop longtemps au même endroit. Au centre de ce roman, cinq jeunes gens - deux couples, un célibataire - aux prises avec la société mondaine. Thackeray nous décrit par petites touches l'Angleterre de 1815 ; ici, pas de grands personnages historiques, peu de grandes batailles ni de grands évènements ; juste des bouts de vie qui basculent, au fil des guerres, spéculations et promotions sociales. En ce sens, j'ai un peu pensé à Stendhal et à son "petit fait vrai" bien plus à même de retranscrire le climat d'une époque que la description de grands faits historiques. Comme lui, Thackeray écrit sans grand recul sur son propre temps, et les évènements majeurs de l'Histoire anglaise sont relégués au second plan, ils deviennent, par de simples allusions, de simples éléments du décor. A travers ce livre, ce que l'auteur appelle la "Foire aux Vanités" apparaît dans son inquiétante ampleur, immense fresque de cette première moitié du XIXème siècle. Je me permets d'ailleurs d'utiliser ce mot de fresque pour deux raisons : à cause de la grosseur du livre et de la galerie de personnages évoqués bien sûr, mais également le mode de publication qui a été utilisé : en effet, ce roman, comme beaucoup d'autres de son époque, a été publié en feuilletons ; l'auteur devait donc écrire ses chapitres rapidement, dans une longueur limitée et sans pouvoir retoucher quoi que ce soit, les chapitres précédents étant déjà aux mains du public.*

"On peut suivre, pour s'édifier et s'instruire, ce cercueil qui se rend à la sépulture de la famille ; contempler ce cortège si recueilli et si rigoureusement vêtu de noir, toute la famille du défunt entassée dans les voitures de deuil, ces mouchoirs déployés pour essuyer des larmes qui ne couleront jamais, l'entrepreneur des pompes funèbres qui s'agite et se démène avec ses hommes pour gagner son argent en conscience, les tenanciers faisant au nouveau seigneur leur compliment de condoléances d'un ton lamentable et contrit, les voitures de tous les hobereaux du voisinage marchant en file, au petit pas, et du reste parfaitement vides, le ministre prononçant la formule sacramentelle : 'Le très cher frère que nous venons de perdre, etc.' enfin tout l'étalage de vanités réservées à ce jour suprême depuis les housses de velours couvertes de larmes d'argent jusqu'à la pierre qui couvre la tombe et où l'on ne grave jamais que des mensonges."

Nous suivons donc l'histoire de nos personnages principaux sans pour autant pouvoir désigner parmi eux un rôle principal. Malgré cela, j'ai retenu Amélia Sedley, caricature de douceur et de naïveté, mais néanmoins égoïste et aveuglée ; le major Dobbin, pantin maladroit mais attendrissant, qui ne parvient pas, malgré tous ses efforts, à être complètement désintéressé dans sa générosité et enfin Becky Sharp, jeune femme sans argent et sans titre qui gravit les niveaux de la Foire aux Vanités par sa ruse, son hypocrisie et son habileté. Etrangement, elle ne m'a pas paru aussi détestable que ça, cette demoiselle Becky, j'ai d'ailleurs trouvé son personnage assez attirant. On sent d'ailleurs une certaine complaisance du narrateur à l'égard de cette marionnette calculatrice : au final, ce n'est plus elle qui est véritablement condamnée, mais plutôt la société qui ne permet une ascension sociale que si on utilise des moyens immoraux pour y parvenir.

Cette société, Thackeray la fustige, parfois férocement, souvent avec humour. Ce qui m'a beaucoup marquée dans cette lecture, c'est le ton utilisé par le narrateur, qui ne cesse de jouer avec ses pantins, avec un réel sens de la formule et une ironie dévastatrice. La Foire aux Vanités offre un mélange de ton, entre le pathétique et le grotesque ... Et c'est souvent le rire qui l'emporte. Mais finalement, la morale demeure ambigüe, car même le personnage qui semble le plus pur et le plus désintéressé tombe dans les fautes d'orgueil et d'égoïsme tandis que le plus vaniteux et le plus hypocrite n'est pas incapable de bonnes actions. Le monde que nous esquisse l'auteur est un monde sans pitié, baignant dans le vice mais refusant d'entendre son nom, où tout n'est qu'hypocrisie et simulation. Sorte de Julien Sorel au féminin, Becky intrigue et planifie sa vie en fin stragège, en se disant à elle-même : "Il n'est pas bien difficile de faire la grande dame dans un château, [...] je pourrais être une femme vertueuse si j'avais cinq mille livres sterlings de revenu." J'ajouterais à cela que le narrateur garde souvent une certaine distance par rapport à son récit et à ses personnages, il ne se départ presque jamais de son rôle de montreur de marionnettes, et joue à commenter ça et là les évènements de son livre, à justifier ses choix, à refuser de nous parler de certaines choses, en feignant l'ignorance. Commençant d'ailleurs à lire un roman de son contemporain, Dickens, je suis très surprise du décalage entre ces deux hommes : là où Thackeray nous conte son histoire avec humour et recul, Dickens mise beaucoup plus sur le pathos pur et dur. Le décalage entre les œuvres de ces deux écrivains est finalement intéressant, et permet de justifier en partie le peu d'estime de Thackeray pour Dickens, et d'expliquer la grande différence de notoriété et de succès entre eux.

La Foire aux Vanités est donc un livre imposant qui m'a d'abord un peu effrayée - si bien que je pensais d'abord lire Barry Lindon du même auteur - mais je suis heureuse de m'être ravisée et d'avoir découvert ce classique de la littérature anglaise, qui m'a tenue en haleine jusqu'au bout et m'a donné l'occasion de rire et de réfléchir sur la société ; celle d'autrefois comme celle d'aujourd'hui. En effet, quoi que l'on puisse croire, ce roman publié en 1848 conserve une certaine fraîcheur et une certaine actualité dans ce qu'il met en scène.


* Or, cela s'apparente assez dans mon esprit à la technique de la fresque en peinture qui constitue à peindre sur l'enduit encore frais une partie du tableau, rapidement et sans possibilité de retouches.

Images : Nadya Lev
Musique : Stravinski - Russian Dance

Espiègleries


Un poème du mois placé sous le signe de l'humour. Je vous livre un très court mot d'Alphonse Allais, dont l'humour me plaît beaucoup. Dans le cas de ce court poème, le jeu de mot ne m'avait pas tout de suite sauté aux yeux, mais après découverte, je l'ai trouvé tout à fait plaisant.



Le châtiment de la cuisson appliqué aux imposteurs

Chaque fois que les gens découvrent son mensonge,
Le châtiment lui vient, par la colère accru.
" Je suis cuit, je suis cuit ! " gémit-il comme en songe.

Le menteur n'est jamais cru.


Musique : Stravinski - Piano Music, In Petrushka's cell

Articles plus récents Articles plus anciens Accueil