"Attention, roman euphorisant !" clamait le petit papier ornant la couverture de ce livre, en librairie. Voilà la manœuvre commerciale éhontée à laquelle se sont livrées les éditions Garnier Flammarion. Et ça a marché : j'ai saisi le livre, contemplé l'illustration, lu la quatrième de couverture ... (Pour les voir, il suffit de cliquer ici) Et me voilà partie avec. J'ai gardé le petit papier, afin d'orner certains livres avec, dans de viles manœuvres d'auto-persuasion.
Et alors ? Au bout du compte ? Eh bien, ce fut une très agréable (et surprenante) découverte. Pour un roman publié en 1900, Les aventures du roi Pausole garde un ton très XVIIIème : conte à portée philosophique, dont l'intrigue se résume en deux lignes et qui fournit le prétexte à des digressions et autres conversations livrées d'un ton léger et badin, quand ce n'est pas un peu polisson ... On se croirait parfois chez Voltaire (d'ailleurs cité à titre parodique) ou chez Diderot. Cependant, Pausole se présente comme un ouvrage contemporain, le roi du pays de Tryphème est contemporain et voisin d'Emile Loubet, président français de l'époque. C'est juste que son pays ne figure pas sur les cartes, il est trop prospère pour ça ... Cela pourrait attirer les touristes ... Alors les géographes ont préféré laisser ce pays en bleu, dans la Méditerranée - comme les critiques littéraires montent des "conspirations du silence" contre les "œuvres fortes", ne manque pas d'ajouter l'auteur. Et à Tryphème, ce pays imaginaire si proche de la France, règne un roi débonnaire qui souhaite avant tout le bonheur de son peuple, en proix au démon de l'incertitude. C'est pour cela qu'il a 366 femmes : une pour chaque jour de l'année, et une prévue pour les années bissextiles. Cela lui évite de se confronter à la perspective d'un choix ... Souverain double, Pausole accorde et recommande une grande liberté de moeurs à tous ses sujets, et le code pénal de Tryphème se résume à deux articles : "Ne nuis pas à ton voisin. Cela étant bien compris, fais ce qu'il te plaît." On ne fait pas plus simple et plus compliqué. En cela, le personnage du roi illustre bien les problèmes complexe que sous-tendent ces déclarations : tandis que les Tryphémoises se promènenent avec pour tout vêtement un mouchoir sur la tête et des mules aux pieds, il interdit cette tenue à sa fille ; de même, alors que mariage et monogamie ne sont pas particulièrement recommandés dans son pays, il est interdit aux femmes de son propre harem de voir des hommes, hormis la seule nuit par an qu'elles passent en compagnie du roi. Cependant, Pausole règne sans se questionner, faisant justice sous un cerisier plutôt que sous un chêne (parce que cet arbre fait autant d'ombre qu'un autre et qu'en plus, il donne de bons fruits) jusqu'à ce que son petit monde s'écroule.


Sa fille, la princesse Aline, prend un jour la poudre d'escampette, fuyant sa prison dorée en compagnie d'une belle danseuse. Après bien des hésitations, Pausole part à sa recherche, monté sur sa mule, accompagné de deux conseillers hauts en couleurs : l'eunuque Taxis
"qui jouera dans la suite du récit (disons-le tout de suite pour plus de clarté) le rôle toujours nécessaire du personnage antipathique" et le page Djilio-Guiguelillot-Gilles-etc., personnage plein de pétulance et de malice, dénué de toute inhibition et multipliant les conquêtes. On ne fait pas plus opposé : d'un côté le libertin, à mi-chemin entre serviteur et bouffon, évoquant toute la lignée des valets de comédie (du personnage de l'esclave rusé dans le théâtre antique au Scapin de Molière) ; de l'autre le chrétien protestant et professeur d'arithmétique, au "profil concave", incarnant ordre et rigueur et arrivant toujours mal à propos dans l'atmosphère joyeuse et délicieusement légère du pays de Tryphème. Ce voyage mené par cet improbable trio, accompagné de quarante soldats tour à tour armés de lances ou de tulipes (selon les préceptes de l'un ou del'autre conseillers) apparaît alors comme le prétexte à mille petites aventures, sans grande conséquence et qui, bien loin d'amener à la conclusion, prolongent bien plus volontiers les pauses et les escales. L'épilogue du roman se clot à peu près sur ces termes : "Ci finit l'aventure extraordinaire du Roi Pausole qui, pour retrouver sa fille, alla jusqu'à parcourir sept kilomètres à dos de mule, de son palais à sa grand'ville."

Mais si ce n'est pas réellement l'intrigue qui intéresse l'auteur et/ou retient le lecteur, que trouve-t-on tout au long des 300 pages de ce roman ? Si je mets depuis tout à l'heure des photos de jeunes filles dénudés pour illustrer cet article, une partie de la réponse vous est peut-être déjà venue : Les aventures du roi Pausole baigne dans un érotisme ambiant, du début à la fin. Léger, souvent bien plus suggestif que descriptif, mais bien là. En passant, l'auteur développe un des thèmes qui semblent lui être assez chers : celui du saphisme, à travers la fuite de la princesse Aline avec Mirabelle, qui devient son initiatrice. Au-delà de ça, Tryphème apparaît comme le lieu des plaisirs décomplexés, et l'amour y est décrit comme quelque chose de naturel et allant de soi. Et derrière un ton apparemment léger se cachent des réflexions sur l'amour, la nudité, la sexualité et la morale. Par ce récit, Louÿs livre une forme particulière d'utopie, répondant à des idées déjà exposées ailleurs dans ses écrits, où il défend la sensualité en lui retirant toute notion de péché et fait l'éloge de l'amour libre. En conclusion, Pausole n'est pas un roman à recommander à de prudes lecteurs ... Je remarquerai d'ailleurs, à ce niveau là, qu'en choisissant de telles photos pour illustrer mon article, je trahis assez le propos du roman : il n'est rien de pire aux yeux des Tryphémois, et aux yeux de leur roi qu'une semi-nudité, "favorisant le nu mais blamant le transparent". Eloge de la simplicité et de la franchise, condamnation de l'artifice et de l'implicite. Mais il n'est pas coutume, même aujourd'hui, d'orner un blog de lecture de photos d'une nudité crue et sans aucune dissimulation : pourquoi pas choisir alors d'entrer dans le paradoxe ... ? C'est donc bien un conte à connotation érotique que l'on trouve sur la plume de Pierre Louÿs, mais ce serait énormément appauvrir le texte de n'y voir que cela. Avec espièglerie et légèreté, l'auteur livre également une satire, contre la pruderie certes, mais aussi contre une bureaucratie montante, contre les institutions. Quand il rencontre M. Lebirbe, président de la Ligue contre la licence des intérieurs, figure parodique de Béranger et de sa Ligue contre la Licence des Rues, et que ce dernier après avoir développé des idées assez proches des siennes (et de celle de Louÿs) propose d'imposer la nudité obligatoire, de pousser les jeunes à respecter ces idées à travers la progande, Pausole s'anime et sort de sa sérénité habituelle pour déclarer avec passion : "Imposer le nu sur la voie publique ! Mais voyons, monsieur Lebirbe, ce serait aussi ridicule que de l'interdire !" S'ensuit une petite tirade que je trouve plaisante et que je recopie en bas de cet article ... Ainsi, plus loin qu'une exaltation de la sensualité, Le roi Pausole aborde, poétiquement, des questions bien plus graves qu'il n'y paraît. Le tout habilement dissimulé derrière le sous-entendu et le non-dit. C'est au lecteur finalement de débrouiller l'affaire et d'entendre par lui-même, dans cet étrange écrit, sorte de monstre merveilleux qui tient à la fois du roman contemporain et du conte XVIIIème, la résonance des propos de l'auteur. Roman court à l'écriture fluide et élégante, à la prose soignée et parfois poétique, Les aventures du roi Pausole m'a amusée, déconcertée, et j'en suis sortie le sourire aux lèvres. "Surprenant de délicatesse".


~ * ~

"Monsieur, l'homme demande qu'on lui fiche la paix ! Chacun est maître de soi-même, de ses opinions, de sa tenue et de ses actes, dans la limite de l'inoffensif. Les citoyens de l'Europe sont las de sentir à toute heure sur leur épaule la main d'une autorité qui se rend insupportable à force d'être toujours présente. Ils tolèrent encore que la loi leur parle au nom de l'intérêt public, mais lorsqu'elle entend prendre la défense de l'individu malgré lui et contre lui, lorsqu'elle régente sa vie intime, son mariage, son divorce, ses volontés dernières, ses lectures, ses spectacles, ses jeux et son costume, l'individu a le droit de demander à la loi pourquoi elle entre chez lui sans que personne l'ait invitée."

Images :
1 et 2. Photos anciennes trouvées au hasard sur Internet, sans référence.
3. Beuville, illustration pour Le roi Pausole


La perspective de devoir être interrogée et jugée sur un livre précis n'a rien de réjouissant. Aussi ai-je abordé cette lecture avec une certaine réticence. Et pour être franche, il m'a été difficile de plonger dedans, effectivement : voilà une lecture que j'aurais beaucoup différée. Mais maintenant que je l'ai terminée, mon avis est tout autre et j'en garde, rétrospectivement, une bonne impression.

Il est difficile de juger une œuvre entière à partir d'extraits : publié de 1654 à 1660, Clélie, histoire romaine de Madeleine de Scudéry comporte 7300 pages, et l'édition de poche ne représente qu'un dixième du roman. L'un des conséquences de cette restriction : des livres entiers résumés en quelques courts paragraphes, des noms et des évènements qui défilent sans qu'on puisse réellement s'en souvenir et, je l'avoue, un certain sentiment de frustration. Car les extraits présentés ont un certain charme et que j'aurais sans doute aimé en lire un peu plus.

A travers l'histoire d'amour entre Aronce et Clélie, illustre romaine, l'auteur nous propose une œuvre hybride, aux carrefours de l'histoire littéraire. Clélie se réclame tout d'abord du roman héroïque, et place son intrigue au VIème siècle avant JC, lors de la chute des Tarquins et de l'avènement de la République romaine. Y apparaissent de grands noms, retenus par l'Histoire (Clélie, Lucrère, Porsenna, Lucrèce ou encore Sextus) - il est d'ailleurs assez curieux de voir un personnage tel que Sextus, auteur du viol de Lucrère, apparaître d'abord comme un participant parmi d'autres aux conversations galantes ... L'auteur prend appui sur des évènements historiques, tout en conservant une certaine liberté d'invention, notament dans l'écriture d'histoires annexes, n'entretenant qu'un lien ténu (mais existant) avec l'intrigue. Mais Clélie développe et analyse également les sentiments humains, proposant une cartographie morale et un modèle de conduite pour personnes de bonne société. On pourrait trouver certaines définitions et certaines recommandations un peu naïves, l'analyse psychologique n'en est pas moins intéressante. Dans leurs conversations, les personnages sont d'ailleurs pris d'une véritable rage de définition, dans la volonté de cerner des réalités dans toutes leurs nuances et de la façon la plus juste possible.

Le roman de Melle de Scudéry se caractérise en effet par ses conversations : ayant presque toujours lieu dans les conditions les moins vraisemblables possibles (en temps de crise, en captivité, etc.), elles donnent lieu à de véritables dissertations sur l'amour et le sentiment humain, sur la morale ou encore sur l'esthétique. Dans cette édition, les conversations sur l'amour auront un net avantage. Il sera traité de la tendresse, du chemin à parcourir pour gagner une réelle et tendre amitié, de l'avantage à aimer une enjouée, une mélancolique ou une capricieuse, etc. Dans un style qui nous paraît sans doute assez vieilli, les personnages parviennent à soulever des questions intéressantes et défendent parfois des positions assez nouvelles : possibilité d'une gloire féminine qui se réalise notament par la vertu, idéal de mixité en société comme en littérature, droit des femmes à la culture, etc. Un personnage comme celui de Plotine défendra par ailleurs sa liberté en refusant les liens du mariage, attitude que l'on a souvent rattaché aux précieuses. Le refus des conventions, les critiques telles qu'elles sont énoncées gardent un peu de leur saveur, surtout quand on tente de les rattacher à leur époque. Pour ce qui est des propositions, j'ai bien peur d'être beaucoup moins d'accord avec son auteur qui prône la réactivation d'un amour type amour courtois, où l'amoureux doit souffrir énormément pour gagner le coeur de la belle mélancolique qui, une fois conquis, lui sera lié à jamais. Tel est en tout cas l'image de l'amour que nous présentent les deux protagonistes. Mais ce qui est très appréciable chez Melle de Scudéry, c'est le sens de la nuance et le fait de ne jamais trancher tout à fait. Les personnages d'Hamilcar et de Plotine, deux figures d'enjoués, représentent à ce sens un contrepoint intéressant au couple de Clélie et d'Aronce.

J'ai, volontairement ou non, passé sous silence pas mal d'aspects intéressants du roman et il y aurait encore beaucoup à dire à son sujet. Cependant, je préfère poser ici mes premiers souvenirs de lecture, sans trop aller plus loin et sans développer certains points que je devrais développer ailleurs, dans un tout autre contexte.
Au final, Clélie n'est pas la lecture la plus simple que l'on puisse entreprendre mais, pour peu qu'on eût* un peu de curiosité, cet ouvrage (abrégé) mérite tout de même que l'on s'y penche. Ne serait-ce qu'en tant que jalon très important de l'histoire littéraire.

* J'ai le droit d'utiliser un subjonctif imparfait dans ma note sur Clélie, car ce roman en est tout bonnement rempli. Nah.

Petit article (avec illustration) de Wikipédia sur "La carte de Tendre"
Élément très important (et souvent le seul que l'on aie retenu) de la Clélie.

Image : Jacques Stella - Clélie passant le Tibre


Les "Lectures" s'élevant à présent au nombre de 55, je m'interroge à propos de l'Index proposé jusque là. Je souhaite toujours recenser mes lectures dans un billet à part plutôt que d'alourdir la page en le faisant apparaître directement dans la barre du blog. Mais ne devrais-je pas opérer un début de classement ? Selon quels critères ? J'avais pensé à une distinction chronologique, avec les limites et la dose d'arbitraire que cela suppose, mais comment la mettre en œuvre ? (J'avais essayé d'utiliser différentes couleurs pour finalement renoncer devant l'absence flagrante d'harmonie visuelle du résultat ...) Ou alors, tout simplement, laisser les œuvres dans leur fouillis originel ... ? Qu'en pensez-vous ?
J'avoue que je suis en pleine hésitation ...

~*~

Autres petits évènements : j'avais deux paquets dans ma boîte aux lettres aujourd'hui. L'un n'était pas une vraie surprise, il s'agit du Journal d'une femme de chambre, le film de Bunuel adapaté du roman de Mirbeau sur lequel j'avais écrit une note dythirambique. J'ai hâte de le découvrir. Le deuxième a été une réelle surprise : c'était un petit calendrier agrémenté de photos londoniennes, envoyé de la part de ma Swappeuse Isil, de passage à Londres. Merci beaucoup pour cette délicate attention !

Enfin, bien que sortant à peine d'un Swap qui se révéla être une agréable expérience, j'ai rempilé avec le Victorian Christmas Swap, organisé par Lou et Cryssilda : la perspective d'un colis sur ce thème et au moment de Noël avait quelque chose de réjouissant. Voilà l'occasion de penser à quelque chose de plus léger au moment des examens !

Sur cette note digressive, je tire ma révérence, en souhaitant de bonnes lectures à tous ceux qui sillonnent ce blog. D'ici peu viendra peut-être une note sur un roman de Pierre Louÿs fraîchement édité chez Garnier Flammarion : Les aventures du roi Pausole. Et pour l'instant, les impressions sont très bonnes !


« À tous ceux qui crevèrent d'ennui au collège ou qu'on fit pleurer dans la famille, qui, pendant leur enfance, furent tyrannisés par leur maîtres ou rossés par leur parents, je dédie ce livre »

L' (apparente) facilité n'a pas toujours que des avantages. Curieuse de découvrir Jules Vallès, je projetais depuis longtemps de lire L'enfant. Par manque de temps, je me suis tournée pourtant vers un autre écrit autobiographique, bien plus court, intitulé Le testament d'un blagueur. Résultat des courses : j'ai lu avec intérêt une oeuvre inachevée et fragmentée sans trop savoir quoi en tirer. Alors je me suis plongée dans ce livre un peu plus épais, avec réticence d'abord, par peur des redites, avec plaisir et curiosité ensuite.


Premier tome de la trilogie de Jacques Vingtras, L'enfant est un livre qui semble hautement autobiographique. Ici, Vallès nous conte une histoire malheureuse : celle d'un enfant battu par ses parents qui meurt d'ennui à l'école et dans le monde, ces endroits où il faut se tenir bien droit et jouer le rôle des gens respectables, celle d'une famille pauvre qui se déchire pour de petites ambitions. Il nous décrit aussi le ballet des petits professeurs en toge, pétris d'un orgueil mal placé, se rengorgeant comme des coqs et rampant devant les influents. Un bien triste monde en vérité. A côté de cela, il est un univers tout autre, où l'on peut être vrai, où il est possible d'être soi-même sans songer au ridicule et aux bienséances : c'est la paysannerie, c'est le retour à la terre. Le contact physique avec la campagne et sa matérialité n'apparaît en aucun cas comme une salissure, c'est au contraire une forme de purification. Et les rares moments où le roman se détend, où les tensions de la maison familiale se taisent, c'est quand l'enfant est chez des membres de la famille, encore ouvriers ou paysans. Plus tard, ce seront les métiers manuels, les manoeuvres des presses journalistiques qui l'attireront, alors que le jeune garçon devra travailler d'arrache-pied sur du grec et des vers latins ...

Jules Vallès déploie d'ailleurs dans son récit un ton tout à fait cinglant, et s'il y a bien un thème qu'il n'épargne pas, c'est celui de l'enseignement. Maltraitance comme une autre, l'école devient un lieu où l'on broie les énergies, où l'on rabaisse et où l'on humilie, à la seule fin de faire connaître par coeur des thèses pré-mâchées, mortes. Aucun lien avec le monde, avec l'actualité brûlante qui se joue. A propos de ces soit-disantes humanités, entre exercice de rhétorique désincarnée et imitation des Anciens, Vallès écrit : "Dangereuse et terrible pour l'humanité, cette école de rhinoplastie qui veut qu'on couse à la page neuve des lambeaux de peau morte." A travers le récit d'une enfance ratée, Vallès en profite pour déchaîner sa plume contre de grands monstres tout puissants : l'institution scolaire et les maîtres, l'organisation de la société, les parents et leur autorité.


L'enfant apparaît comme un roman à grand fondement autobiographique, c'est ce qu'on lit partout. On pourrait penser que le récit d'enfance est somme toute un genre assez facile d'accès, dans lequel on peut entrer impunément, prendre ce qui nous intéresse et repartir aussitôt. Et ce serait bien pratique ... Mais à partir du souvenir, on sent bien qu'il y a tout un travail de création et de re-création de la part de l'auteur ... Alors que les premiers chapitres du livre présentent des scènes "flash" successives, le développement, même s'il reste assez morcelé, prend tout de même le temps de présenter les scènes et les situations, de les articuler, d'établir des liens de cause et de conséquence, en somme de réorganiser et de reconstruire ce qu'était le souvenir. Et Vallès joue avec son manuscrit, dans le sens où il met en scène son propre personnage, dans un ridicule souvent exagéré : il nous présente une sorte de petit clown-saltimbanque, à l'allure particulière, prêt à faire ou subir les situations à venir. Comparaisons bien originales, scènes tout à fait grotesques, personnages-types décrits dans le but de faire rire, L'enfant abonde de pitreries dans le genre. Et en cela, le rôle de l'habit est prédominant : le petit Vingtras est habillé par sa mère, en dépit du bon goût et dans l'intérêt des économies. Et alors, c'est le festival : on lit tour à tour qu'il "avait l'air d'un poèle", "l'air d'un téléscope qu'on ferme", "l'air d'un léopard", "l'air d'un ambassadeur lapon" et j'en passe. Costume sans cesse rapiécé et toujours trop grand, dans lequel l'enfant a peine à évoluer dans le monde et à cause duquel il tombe à chaque fois qu'il tente d'y faire un pas. Costume que par ailleurs, il cherche toujours à trouer, sallir, abîmer de toutes les façons possibles. Au final, à travers ces images, Vallès nous parle du travestissement nécessaire (et inconfortable !) pour évoluer en bonne société.Il nous parle aussi de lui-même et surtout de son livre, lui-même rapiécé et couturé, en constante re-création. Il nous le présente alors, tel un spectacle à sensation, comme la mère Vingtras exhibe fièrement son enfant. A croire qu'il se plaît à endosser, à la fois, le costume d'un M. Loyal et celui du clown, l'un sur l'autre, en un grotesque mélange.

Par ce travail sur les images d'enfance, Jules Vallès en arrive au thème qui lui est cher, et qu'il nous présente enfin, par l'exemple : celui de la révolte. Le dernier chapitre de L'enfant s'intitule Délivrance et présente un Jacques Vingtras libéré des contraintes familiales, prêt à rejoindre Paris et ses idéaux, peu après sa découverte des milieux révolutionnaires. De plus, le dernier tome de la trilogie a pour titre L'insurgé. On fait difficilement plus parlant. L'engagement révolutionnaire semble s'inscrire dans cette volonté de quasi régression, dans le travail manuel et le contact avec la terre. Face à un monde dénaturé représenté par ses parents, le jeune garçon se construit un idéal d'équilibre et d'harmonie première vers lequel absolument revenir. Révolte qui n'empêche pas la réconciliation, au contraire. Dans la dynamique du roman, l'engagement révolutionnaire se caractérise par un retour aux sources, où l'enfant sera dédommagé de ses multiples souffrances. Par là, Jules Vallès nous montre l'origine d'un désir de révolte, pas encore affiné, mais bien présent, dans toute sa force et toute sa conviction.
Dans une langue qui fait la part belle au langage courant et familier, Jules Vallès nous livre dans L'enfant un portrait au vitriol d'une famille de province, contant une enfance douloureuse oscillant sans cesse entre drame et humour. Une découverte instructive.

Passage humoristique. Passage tragique. Voici deux extraits d'un même chapitre de L'enfant qui portent sur le même personnage, ridicule et terrible à la fois. Tiré du chapitre XIX "Louisette".


Des pronostications.

« Moi, reprend Bergougnard, je suis la Raison froide, glacée, implacable. » Et il met sa canne toute droite entre ses jambes.

Il ajuste en même temps, sur un nez jaunâtre, piqué de noir comme un dé, il ajuste une paire de lunettes blanches qui ressemblent à des lentilles solaires, et me font peur pour mon habit un peu sec.

On croit qu’elles vont faire des trous. Je me demande même quelquefois si elles ne lui ont pas cuit les yeux, qui ont l’air d’une grosse tache noire, là-dessous.

« Je suis la Raison froide, glacée, implacable… »

Il y tient. Il dit cela presque en grinçant des dents, comme s’il écrasait un dilemme et en mâchait les cornes.

Il a été dans l’Université aussi, ça se voit bien ; mais il en est sorti pour épouser une veuve, – qui crut se marier à un grand homme et lui apporta des petites rentes, avec lesquelles il put travailler à son grand livre De la Raison chez les Grecs.

Il y travaille depuis trois ans ; toujours en ayant l’air de grincer des dents ; il tord les arguments comme du linge, il veut raisonner serré, lui, il ne veut pas d’une logique lâche, – ce qui le constipe, il paraît, et lui donne de grands maux de tête.

« Le cerveau, vois-tu, dit-il à mon père, en se tapotant le front avec l’index…

– Pas le cerveau, » dit le médecin, qui croit à une affection du gros intestin ; si bien qu’il ne sait pas au juste si M. Bergougnard est philosophe parce qu’il est constipé, ou s’il est constipé parce qu’il est philosophe.

~*~

De l'affection des pères aux enfants.
Cette raison froide et implacable, M. Bergougnard a l'habitude de l'exercer sur ses enfants : Bonaventure et sa petite sœur Louisette, pour laquelle Vingtras se sent pris de pitié.


Mon cœur a reçu bien des blessures, j’ai versé bien des larmes ; j’ai cru que j’allais mourir de tristesse plus d’une fois, mais jamais je n’ai eu devant l’amour, la défaite, la mort, des affres de douleur, comme au temps où l’on tua devant moi Louisette.

Cette enfant, qu’avait-elle donc fait ? On avait raison de me battre, moi, parce que, quand on me battait, je ne pleurais pas, – je riais quelquefois même parce que je trouvais ma mère si drôle quand elle était bien en colère, – j’avais des os durs, du moignon, j’étais un homme. [...]

Mais la petite Louisette qu’on battait, et qui demandait pardon, en joignant ses menottes, en tombant à genoux, se roulant de terreur devant son père qui la frappait encore… toujours !...

« Mal, mal ! Papa, papa ! »

Elle criait comme j’avais entendu une folle de quatre-vingts ans crier en s’arrachant les cheveux, un jour qu’elle croyait voir quelqu’un dans le ciel qui voulait la tuer !

Le cri de cette folle m’était resté dans l’oreille, la voix de Louisette, folle de peur aussi, ressemblait à cela !

« Pardon, pardon ! »

J’entendais encore un coup ; à la fin je n’entendais plus rien, qu’un bruit étouffé, un râle.

Une fois je crus que sa gorge s’était cassée, que sa pauvre petite poitrine s’était crevée, et j’entrai dans la maison.

Elle était à terre, son visage tout blanc, le sanglot ne pouvant plus sortir, dans une convulsion de terreur, devant son père froid, blême, et qui ne s’était arrêté que parce qu’il avait peur, cette fois, de l’achever.

On la tua tout de même. Elle mourut de douleur à dix ans ...

~*~

Décalage de registres au sein d'un même chapitre, et qui me semble donner une petite idée du ton de L'enfant.

Images :
1.Edgar Degas
2.Ewa Brzozowska

L'enfant sur Wikisource

Policier victorien.

L'autre jour, quand j'entrais dans une librairie (évènement qui arrive assez fréquemment dans ma vie), mon regard a été attiré par un étalage à l'entrée : y étaient présentés des livres des éditions 10/18, en vrac. Ce qui m'avait marquée alors, c'est le nombre et la variété de policiers historiques qu'on y trouvait : meurtres dans l'Europe des Lumières, crimes au milieu du XIXème siècle, enquêtes en plein Moyen-Age, etc. J'avais déjà tenté l'expérience avec un roman d'Ellis Peters, le premier tome des enquêtes de frère Cadfael, et c'est une lecture que j'avais appréciée. A présent, c'est grâce à Isil que je me suis plongée dans la découverte d'un autre auteur reconnu de policiers historiques : Anne Perry. Et cela, avec le premier tome de la série "Charlotte & Thomas Pitt", à savoir L'étrangleur de Cater Street.

Quatrième de couverture : Suffragette avant l'heure, l'indomptable Charlotte Ellison contrarie les manières et codes victoriens et refuse de se laisser prendre aux badinages des jeunes filles de bonne famille et au rituel du tea o'clock. Revendiquant son droit à la curiosité, elle parcourt avec intérêt les colonnes interdites des journaux dans lesquels s'étalent les faits divers les plus sordides. Aussi bien le Londres des années 1880 n'a-t-il rien à envier à notre fin siècle : le danger est partout au coin de la rue et les femmes en sont souvent la proie.

Voilà un roman léger qui tombe à point nommé : j'ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture détente. Passé un premier chapitre quelque peu laborieux, le lecteur entre petit à petit dans l'histoire jusqu'à ne plus oser fermer le livre avant sa dernière ligne. C'est que L'étrangleur de Cater Street, comme tout roman policier qui se respecte, doit son intérêt à une intrigue certes classique mais bien construite, avec un flou qui plane jusqu'aux dernières pages, pour un dénouement qui m'a semblé inattendu - bien que les choses aient été préparées depuis bien longtemps.
Là n'est pas le seul intérêt de cet ouvrage : le roman d'Anne Perry a le mérite de nous plonger dans l'Angleterre victorienne, dans une atmosphère qui n'entre pas en contradiction avec les écrits de l'époque. Au fil de ma lecture, certaines pages m'ont rappelé le propos de Dickens, d'autres baignaient dans une ambiance à la Jane Austen ; quant au personnage de Charlotte, il m'évoqua parfois les figures féminines des romans des soeurs Brontë ... De cet ouvrage se dégagent des thèmes récurrants : la place des femmes dans la société anglaise de l'époque, la rigidité des moeurs et des convenances victoriennes. Et en cela, il me semble que la description est réussie : je me suis plongée dans cette ambiance reconstituée avec plaisir, et j'ai suivi le déroulement du récit avec intérêt.

Il y a cependant un point noir que j'ajouterais : la langue. Vu que je ne lis pas l'anglais dans le texte, j'ai découvert Anne Perry en traduction, alors je ne sais pas vraiment à qui m'attaquer. Commençons par le plus général : des phrases courtes, parfois assez lourdes, viennent briser le rythme d'ensemble du roman ; de même, certaines répliques sonnaient parfois faux. Avant d'écrire cette petite note, je suis allée fouiner ça et là pour voir ce qu'en disaient des collègues blogueurs, et j'ai lu partout que le style était fluide, agréable à lire. En cela, je ne suis pas d'accord : ma propre lecture a parfois été gênée par quelques lourdeurs ... Et surtout, (mais dans ce cas je suppose un vice de traduction) par des incorrections et des fautes de grammaire. Je n'ai plus d'exemple précis en tête, à part un "voire même" qui se baladait impunément en début de roman (mais il paraît que ce n'est pas vraiment une faute, ça ...). Toujours est-il que j'ai buté contre certaines tournures, certaines constructions, ce qui n'est jamais très agréable.

Toutefois, cela ne m'a pas empêchée de garder un bon souvenir de cette lecture, et je ressens l'envie de continuer la série avec le deuxième tome, Le Mystère de Callander Square. D'autant plus que la fin du roman laisse un peu le lecteur sur sa faim !
L'étrangleur de Cater Street se trouve donc être un livre idéal pour se détendre un peu, entre des lectures plus conséquentes et/ou imposées. Une façon de se (re)poser un peu, avant de repartir vers de nouveaux horizons. Me voilà donc très satisfaite de cette petite découverte.

[C] René, Chateaubriand.


Difficile de revenir en ce tout début XIXème siècle, alors que je me plonge volontiers dans les textes d'après 1850 depuis un moment. Cependant, j'avais choisi cette oeuvre dans le cadre de mon challenge ABC, et j'ai voulu (une fois n'est pas coutume) m'y tenir.

René est un court roman d'un bonhomme nommé Chateaubriand, contant l'histoire d'un jeune homme au passé troublé qui a quitté l'Europe pour s'exiler en Amérique. Le mélancolique personnage expose alors ses souvenirs à deux vieils hommes, l'indien Chactas et le père Souël. Ce qui frappe alors, c'est ce vague-à-l'âme tendu là, d'un bout à l'autre du récit, ce mal-être aux causes mal définies qui surgit, à chaque instant, du discours du personnage. Ça paraîtrait presque ridicule aujourd'hui : face aux soupirs de René, on est tenté de repousser tout du coin de la main en déclarant que ce n'est rien, tout au plus des lamentations d'adolescent. Malgré ça, il y a quelque chose de fort dans ce roman quelque chose même, d'un peu nouveau. Il y a bien sûr cette hypersensibilité du personnage, et des accents lyriques pas si éloignés du ton de Rousseau. Certains passages, certaines déclarations sembleraient même tout droits sortis de La Nouvelle Héloïse. Mais on est déjà ailleurs, aussi. A la lecture de René, on a également l'impression que Chateaubriand écrit sur la place de l'individu dans le monde, place que le personnage ne parvient pas à trouver, qu'il ne cherche peut-être pas à trouver. Le jeune homme fuit sans cesse, il voyage partout, dans l'espoir de trouver sa place, et partout il demeure un marginal. Rongé par un "vague des ses passions" qu'il ne parvient ni à expliquer ni à contrôler, il préfère se retirer de monde et mener une vie de solitaire. Le roman se clôt sur l'image de René, isolé sur un rocher où il contemplait l'horizon, au soleil couchant. Alors quand on le parcourt comme ça, un après-midi, ça fait sourire et ça paraît désuet, mais René marque tout de même un tournant majeur dans l'histoire littéraire, en mettant en scène de manière plutôt efficace le personnage romantique. Cet ouvrage aura par ailleurs un retentissement que son auteur déplorera : "Une famille de Renés poètes et de Renés prosateurs a pullulé : on n'a plus entendu que des phrases lamentables et décousues ; il n'a plus été question que de vents et d'orages, que de mots inconnus livrés aux nuages et à la nuit ..." écrira-t-il dans Les Mémoires d'Outre-Tombe.

Je disais plus haut que René paraissait aujourd'hui sans un peu désuet. Il y a tout de même quelque chose qui fait que ça marche et qu'on lit la nouvelle jusqu'à son terme : c'est l'écriture. Chateaubriand a une prose tout à fait remarquable : il joue sur les rythmes, les sonorités, les images en virtuose, et par cela, il nous tient en haleine. Jusqu'au bout. En ce sens, les évocations de la Nature chez Chateaubriand sont remarquables. Ce qui est intéressant également, c'est la peinture des relations entre René et sa sœur qui sont particulièrement ambigües. On pourrait tout de même regretter qu'une telle finesse dans l'évocation trouve sa fin en une glose fortement moralisatrice qui, pour le lecteur du XXIème siècle, vient briser la force du propos. En mettant en scène un homme qui présente un sentiment de profond malaise face à son siècle, à son Histoire, Chateaubriand contribue à l'émergence d'une mentalité particulière qui sommeillait alors en Europe : ce qu'on a appelé le "romantisme" est en train de naître. Par sa concision et l'efficacité de son récit, René demeure un ouvrage qui se lit bien, et, passé les premières pages, j'y ai trouvé du plaisir. Référence à connaître dans un cadre strictement utilitaire (c'est à dire, pour moi, dans l'optique des concours et tout le toutim), ce roman m'a particulièrement marquée par sa beauté d'écriture ...


En passant : Achèvement du Challenge ABC, L - 2 !

Images : Caspard David Friedrich

Surprise !

Voilà quelques temps, je m'étais inscrite au London Swap organisé par Yspaddaden. Qui dit Swap, dit colis. Mais je ne m'attendais pas à recevoir si vite une si jolie surprise ! Par ailleurs, le colis est arrivé à point nommé, après une journée particulièrement grise et froide. De quoi redonner le sourire ! Alors me voilà donc, à partager un peu de mon bonheur sur ce blog !
Ma swappeuse ? C'était Isil (son blog à elle, c'est par là !) et elle m'a envoyé un colis particulièrement soigné plein de jolies surprises. Je frémissais déjà d'envie devant les emballage, mais me suis ravisée et ai sagement pris une photo des paquets avant de découvrir ce qu'ils recelaient.



Puis je les ai ouverts, un à un, en essayant de faire durer le suspense le plus possible ... Toujours est-il qu'Isil ne pouvait pas viser plus juste. J'ai trouvé sous ces emballages :
  • Une très jolie carte dont l'illustration est signée Sir Lawrence Alma Tadema, un peintre anglais que je ne connaissais pas du tout. (un détail de cette illustration)
  • Un livre de Henri James, Une vie à Londres (il est par ailleurs précisé sur la quatrième de couverture que cette oeuvre participe au parallèle que l'auteur trace entre l'Amérique et l'Europe, thème déjà très présent dans Daisy Miller, une nouvelle que j'ai lue il y a peu et que j'ai beaucoup appréciée.)
  • Le deuxième livre est L'étrangleur de Cater Street d'Anne Perry : un roman policier se déroulant dans l'Angleterre victorienne, idéal pour se détendre après des journées chargées ! Ayant découvert un polar historique qui m'avait assez enthousiasmée (j'ai lu un des tomes de la série Cadfael d'Ellis Peters), j'étais assez curieuse de découvrir cet autre auteur du genre.
  • Un calepin avec en couverture des photos d'écrivains et penseurs européens (le jeu est-il de tous les reconnaître ? J'ai relevé notamment la présence de Viriginia Woolf, d'Antonin Artaud, de Sand, de Nietzsche, de Rimbaud, Baudelaire, d'Alphonse Allais, de Flaubert, Proust, Shakespeare, Wilde, Camus, Hugo, Balzac ou encore Nerval ... Pour les autres, je réfléchis, je réfléchis ...). En tout cas, un carnet idéal pour noter mes idées de lecture.
  • De vrais bonbons anglais. Les gens qui ne me connaissent pas au quotidien ne réalisent pas ce que cela peut signifier pour moi : la réglisse anglaise est mon véritable pêché mignon, et pouvoir en déguster de véritables, au goût si particulier ... C'est tout simplement extatique.
  • Et comme j'aime beaucoup le thé, une boîte de thé Earl Grey Twinings : un de mes préférés !
  • Des marque-pages sur le thème du Swap, enveloppés d'une image : une peinture de F. Morgan, autre artiste anglais qui m'était inconnu jusque là.

A présent, je n'ai plus qu'à dire un immense merci à Isil, qui a concocté un superbe colis. Merci également à l'organisatrice du Swap, Ys'. De mon côté, je vais entamer la lecture d'un des deux ouvrages qui viennent d'atterrir dans ma PAL, et préparer mon propre colis qui partira d'ici quelques jours ...
*Sourire*

Les tout nouveaux "Livre-de-Poche" sont très beaux : visuel aéré, livre flexible (pour ne pas dire mou), illustrations agréables à l'œil, ... Tout pour donner à la livrophile que je suis des pulsions d'achat compulsif. C'est ce qui s'est passé avec Pierre Loti. Cela faisait un moment que je jettais des regards curieux vers ce bonhomme, notamment vers Pêcheurs d'Islande ... L'envie notamment d'établir un parallèle, si possible, avec une future lecture imposée(1). J'ai fini par craquer devant cette jolie petite édition et me voilà, quelques temps plus tard, devant mon écran à essayer d'en parler.



Est-il vraiment pertinent de parler de "spoilers" dans le cas de Pêcheur d'Islande ? Dès les premières pages du livre, tout semble s'être joué, tout semble être déjà dit : ça va finir mal, très mal. La question est sans doute beaucoup plus de l'ordre du "quand" et du "comment" ... C'est en partie ce qui fait la force de ce court roman : le monde que nous décrit Pierre Loti est un monde étrange qui palpite à chaque soubresaut de la Mer, oscillant entre les tempêtes et les accalmies. C'est une Bretagne fantasmée aux petites maisons rongées par le sel, dont les rares bruyères tremblotent au gré du vent marin. Les habitants de cette région désolée sont de grands gaillards robustes, purifiés par les longues saisons en mer, vision idéalisée des marins d'Islande, fort éloignée d'une réalité bien moins réjouissante. De l'autre côté, dans les terres, des familles dans l'attente qui guettent l'horizon à chaque fin d'été, dans l'espoir de voir apparaître les voiles des bâteaux de pêche. Ainsi, le jeune Sylvestre et la grand-mère Moan ; ainsi, Yann et Gaud, dont l'amour se heurte au grand silence de la Mer.

Ce qui marque, à la lecture, c'est l'étrange atmosphère qui court d'un bout à l'autre du roman : dans la froideur de la lande bretonne, dans l'indéfinitude des eaux d'Islande(2), une force est là, qui plane, comme une menace silencieuse et inexorable. Parfois, elle éclate dans toute sa violence en répandant ses grandes gerbes d'écume ; parfois elle dort dans les profondeurs, discrète, mais toujours là. J'ai mentionné quatre prénoms voilà quelques lignes, mais on a l'impression, finalement, que le seul et unique personnage de toute cette histoire, c'est la Mer. Le rythme même du roman se calque sur ses mouvements à elle : Pierre Loti nous raconte les drames bretons par saccades, et voilà le lecteur balloté de visions en visions, comme s'il suivait le courant et les marées. S'enchaînent inexorablement de brèves images de l'âpre quotidien des pêcheurs, des violences de la guerre du Tonkin qui fait rage à l'époque, de l'insupportable attente des familles. Des joies et des peines de tous ces hommes, il ne reste finalement que ce mouvement de flux et de reflux et quelques regrets à demi-oubliés.
Il est un problème central, dans Pêcheur d'Islande : c'est celui du deuil impossible. Comment donner leur place à tous ces hommes disparus au large ? Quand cesser enfin d'attendre et d'espérer ? Le roman décrit bien la folie qui dort au fond des yeux des "desespérées", des ces femmes qui guettent ces derniers bateaux encore non revenus, trouvant mille causes pour expliquer un retard, perdant espoir chaque soir pour se lever le matin en se murmurant à elles-même : "Mais peut-être que ..."

Le roman baigne ainsi dans une atmosphère particulièrement macabre, sépulcrale : le lecteur évolue, en compagnie des personnages, dans une Bretagne parsemée de calvaires d'un autre temps, parmi une lande désolée, jusqu'à des cimetières sans tombe, où les noms des disparus, gravés sur des plaques de bois, s'effacent au fil du temps, à cause de la Mer. Toujours elle. Entité ambigüe par ailleurs : je ne cesse de parler de mort et de disparitions, mais dans Pêcheur d'Islande, la mer est aussi un lieu de vie intense, un lieu de retour aux sources, où chacun semble toucher aux fondements de son existence. Tout à sa tâche, le marin oublie où il se trouve, et vit en communion avec ce qui l'entoure, avec l'eau, les brumes et le vent ; loin des terres, il se purifie. La mer a donc deux visages : au fil des rêves, la blancheur infinie de la mer d'Islande invite à l'abandon et à l'oubli ; quand elle tourne à la tempête, elle est à la fois vie intense et mort brutale. Au final, négation de soi face à une immensité qui nous dépasse.

Par une successions de paragraphes souvent courts, par des images jetées là, alternant toujours les évènements en mer et sur terre, Pierre Loti nous fait vivre un peu tout cela. Au vu de la réputation du bonhomme, et de sa biographie (il a été marin dans l'armée durant de nombreuses années), je pensais en lisant cet ouvrage, avoir un regard plus renseigné et réaliste sur la situation. Il n'en est rien : Pierre Loti n'aurait jamais vu la mer d'Islande, et il se sert de ce récit pour tout autre chose ... Dans Pêcheur d'Islande, c'est une œuvre de fiction, fortement symbolique, qu'il cherche à construire, y déployant son propre imaginaire, ses propres fantasmes. Notamment un rapport problématique à la mort et à la question du deuil ...


Notes :
1. Victor Hugo, Les travailleurs de la mer
2. Ce qui me fournit un prétexte de choix pour citer un court extrait de Pierre Loti.

Une des évocations de la mer d'Islande ... :

"Il ne faisait même pas absolument nuit. C'était éclairé faiblement, par un reste de lumière, qui ne venait de nulle part. Cela bruissait comme par habitude, rendant une plainte sans but. C'était gris, d'un gris trouble qui fuyait sous le regard. - La mer, pendant son repos mystérieux et son sommeil, se dissimulait sous les teintes discrètes qui n'ont pas de nom.
Il y avait en haut des nuées diffuses ; elles avaient pris des formes quelconques, parce que les choses ne peuvent guère n'en pas avoir ; dans l'obscurité, elles se confondaient presque pour n'être qu'un grand voile.
Mais, en un point de ce ciel, très bas, près des eaux, elles faisaient une sorte de marbrure plus distincte, bien que très lointaine ; un dessin mou, comme tracé d'une main discrète ; combinaison de hasard, non destinée à être vue, et fugitive, prête à mourir. - Et cela seul, dans tout cet ensemble, paraissait signifier quelque chose ; on eût dit que la pensée mélancolique, insaisissable, de tout ce néant, était inscrite là - et les yeux finissaient par s'y fixer, sans le vouloir."

Images :
1.Henri Dabadie, Le départ des
Islandais en Baie de Paimpol (détail)
2. LemnosExplorer sur Deviantart

Tag-ada tsoin tsoin

(Ou comment trouver des titres désespérément nuls)
Après une longue journée de fac, il est des choses qui font particulièrement plaisir. Et en cela, le tag de Madame Charlotte m'a fait chaud en cœur : je m'y prête d'autant plus volontiers que cela me fournit l'occasion de réapparaître sur la blogosphère après une longue absence.
Mise à jour: Romanza m'a également envoyé ce Tag : un grand grand merci !




Le concept de ce nouveau tag ?

  • Mettre le logo et les règles sur votre blog.
  • Mettre le lien de la personne qui vous a attribué ce prix.
  • Désigner 7 de vos blogs préférés.
  • Les prévenir que vous leur avez attribué ce prix ! (si je n'oublie pas !)

Sept, c'est à la fois peu et beaucoup ... Il a fallu choisir entre les différents liens déjà affichés ici - et parfois, des références extérieures, car je ne tiens pas forcément à jour ma liste ! Ajoutons à cela que je ne me tiens pas forcément au courant de l'actualité des blogs littéraires, ces temps-ci, rythme scolaire oblige ... Toujours est-il qu'à cette heure, les blogs qui attirent le plus mon attention sont (sans aucun ordre hiérarchique, j'entends bien). Des blogs de type différent, et je ne sais pas toujours expliquer en détail pourquoi j'ai plaisir à les feuilleter (façon de parler ...) .Voyez plutôt :

~ Livrenblog : Une vraie mine d'informations sur l'art et la littérature, avec de nombreux textes (de la fin XIXème notamment).
~ Le Livraire : Un blog littéraire de qualité, avec des articles clairs et des analyses fines.
~ Bribes : Malgré un silence de quelques semaines, je ne puis m'empêcher de guetter ce blog, dans l'espoir d'y voir apparaître un jour une nouvelle note.
~ Ce que dit Rose : Une récente découverte.
~ My lou-book : De même, un blog que je connaissais de nom et que j'ai pris plaisir, depuis, à parcourir de temps à autres.
~ L'art et le cochon : autre blog endormi, portant sur les arts.
~ Celle-là même qui m'a taguée, Madame Charlotte, blogueuse étonnamment touche à tout, et qui propose un blog de lecture aux références variées, à la fois fourni et esthétique. Mais comme elle a déjà réalisé ce tag, je me sens le droit de rajouter une autre blogueuse :
~ Ce serait Lavinie, dont je consulte le blog régulièrement, même si je ne parviens pas toujours à suivre ses notes sur la musique classique, n'étant pas du tout experte en la matière.

Voilà donc mon petit florilège du moment, en ce mercredi 8 Octobre, heure tardive (du moins, au sortir d'une aussi grosse journée !). Puisque j'ai la tête enfin sortie des travaux d'exposé, j'ai l'intention de sévir de nouveau sur ce blog d'ici peu. Au programme, une petite note sur Pêcheurs d'Islande de Pierre Loti.
Pensées.

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