"Attention, roman euphorisant !" clamait le petit papier ornant la couverture de ce livre, en librairie. Voilà la manœuvre commerciale éhontée à laquelle se sont livrées les éditions Garnier Flammarion. Et ça a marché : j'ai saisi le livre, contemplé l'illustration, lu la quatrième de couverture ... (Pour les voir, il suffit de cliquer ici) Et me voilà partie avec. J'ai gardé le petit papier, afin d'orner certains livres avec, dans de viles manœuvres d'auto-persuasion.
Et alors ? Au bout du compte ? Eh bien, ce fut une très agréable (et surprenante) découverte. Pour un roman publié en 1900, Les aventures du roi Pausole garde un ton très XVIIIème : conte à portée philosophique, dont l'intrigue se résume en deux lignes et qui fournit le prétexte à des digressions et autres conversations livrées d'un ton léger et badin, quand ce n'est pas un peu polisson ... On se croirait parfois chez Voltaire (d'ailleurs cité à titre parodique) ou chez Diderot. Cependant, Pausole se présente comme un ouvrage contemporain, le roi du pays de Tryphème est contemporain et voisin d'Emile Loubet, président français de l'époque. C'est juste que son pays ne figure pas sur les cartes, il est trop prospère pour ça ... Cela pourrait attirer les touristes ... Alors les géographes ont préféré laisser ce pays en bleu, dans la Méditerranée - comme les critiques littéraires montent des "conspirations du silence" contre les "œuvres fortes", ne manque pas d'ajouter l'auteur. Et à Tryphème, ce pays imaginaire si proche de la France, règne un roi débonnaire qui souhaite avant tout le bonheur de son peuple, en proix au démon de l'incertitude. C'est pour cela qu'il a 366 femmes : une pour chaque jour de l'année, et une prévue pour les années bissextiles. Cela lui évite de se confronter à la perspective d'un choix ... Souverain double, Pausole accorde et recommande une grande liberté de moeurs à tous ses sujets, et le code pénal de Tryphème se résume à deux articles : "Ne nuis pas à ton voisin. Cela étant bien compris, fais ce qu'il te plaît." On ne fait pas plus simple et plus compliqué. En cela, le personnage du roi illustre bien les problèmes complexe que sous-tendent ces déclarations : tandis que les Tryphémoises se promènenent avec pour tout vêtement un mouchoir sur la tête et des mules aux pieds, il interdit cette tenue à sa fille ; de même, alors que mariage et monogamie ne sont pas particulièrement recommandés dans son pays, il est interdit aux femmes de son propre harem de voir des hommes, hormis la seule nuit par an qu'elles passent en compagnie du roi. Cependant, Pausole règne sans se questionner, faisant justice sous un cerisier plutôt que sous un chêne (parce que cet arbre fait autant d'ombre qu'un autre et qu'en plus, il donne de bons fruits) jusqu'à ce que son petit monde s'écroule.


Sa fille, la princesse Aline, prend un jour la poudre d'escampette, fuyant sa prison dorée en compagnie d'une belle danseuse. Après bien des hésitations, Pausole part à sa recherche, monté sur sa mule, accompagné de deux conseillers hauts en couleurs : l'eunuque Taxis
"qui jouera dans la suite du récit (disons-le tout de suite pour plus de clarté) le rôle toujours nécessaire du personnage antipathique" et le page Djilio-Guiguelillot-Gilles-etc., personnage plein de pétulance et de malice, dénué de toute inhibition et multipliant les conquêtes. On ne fait pas plus opposé : d'un côté le libertin, à mi-chemin entre serviteur et bouffon, évoquant toute la lignée des valets de comédie (du personnage de l'esclave rusé dans le théâtre antique au Scapin de Molière) ; de l'autre le chrétien protestant et professeur d'arithmétique, au "profil concave", incarnant ordre et rigueur et arrivant toujours mal à propos dans l'atmosphère joyeuse et délicieusement légère du pays de Tryphème. Ce voyage mené par cet improbable trio, accompagné de quarante soldats tour à tour armés de lances ou de tulipes (selon les préceptes de l'un ou del'autre conseillers) apparaît alors comme le prétexte à mille petites aventures, sans grande conséquence et qui, bien loin d'amener à la conclusion, prolongent bien plus volontiers les pauses et les escales. L'épilogue du roman se clot à peu près sur ces termes : "Ci finit l'aventure extraordinaire du Roi Pausole qui, pour retrouver sa fille, alla jusqu'à parcourir sept kilomètres à dos de mule, de son palais à sa grand'ville."

Mais si ce n'est pas réellement l'intrigue qui intéresse l'auteur et/ou retient le lecteur, que trouve-t-on tout au long des 300 pages de ce roman ? Si je mets depuis tout à l'heure des photos de jeunes filles dénudés pour illustrer cet article, une partie de la réponse vous est peut-être déjà venue : Les aventures du roi Pausole baigne dans un érotisme ambiant, du début à la fin. Léger, souvent bien plus suggestif que descriptif, mais bien là. En passant, l'auteur développe un des thèmes qui semblent lui être assez chers : celui du saphisme, à travers la fuite de la princesse Aline avec Mirabelle, qui devient son initiatrice. Au-delà de ça, Tryphème apparaît comme le lieu des plaisirs décomplexés, et l'amour y est décrit comme quelque chose de naturel et allant de soi. Et derrière un ton apparemment léger se cachent des réflexions sur l'amour, la nudité, la sexualité et la morale. Par ce récit, Louÿs livre une forme particulière d'utopie, répondant à des idées déjà exposées ailleurs dans ses écrits, où il défend la sensualité en lui retirant toute notion de péché et fait l'éloge de l'amour libre. En conclusion, Pausole n'est pas un roman à recommander à de prudes lecteurs ... Je remarquerai d'ailleurs, à ce niveau là, qu'en choisissant de telles photos pour illustrer mon article, je trahis assez le propos du roman : il n'est rien de pire aux yeux des Tryphémois, et aux yeux de leur roi qu'une semi-nudité, "favorisant le nu mais blamant le transparent". Eloge de la simplicité et de la franchise, condamnation de l'artifice et de l'implicite. Mais il n'est pas coutume, même aujourd'hui, d'orner un blog de lecture de photos d'une nudité crue et sans aucune dissimulation : pourquoi pas choisir alors d'entrer dans le paradoxe ... ? C'est donc bien un conte à connotation érotique que l'on trouve sur la plume de Pierre Louÿs, mais ce serait énormément appauvrir le texte de n'y voir que cela. Avec espièglerie et légèreté, l'auteur livre également une satire, contre la pruderie certes, mais aussi contre une bureaucratie montante, contre les institutions. Quand il rencontre M. Lebirbe, président de la Ligue contre la licence des intérieurs, figure parodique de Béranger et de sa Ligue contre la Licence des Rues, et que ce dernier après avoir développé des idées assez proches des siennes (et de celle de Louÿs) propose d'imposer la nudité obligatoire, de pousser les jeunes à respecter ces idées à travers la progande, Pausole s'anime et sort de sa sérénité habituelle pour déclarer avec passion : "Imposer le nu sur la voie publique ! Mais voyons, monsieur Lebirbe, ce serait aussi ridicule que de l'interdire !" S'ensuit une petite tirade que je trouve plaisante et que je recopie en bas de cet article ... Ainsi, plus loin qu'une exaltation de la sensualité, Le roi Pausole aborde, poétiquement, des questions bien plus graves qu'il n'y paraît. Le tout habilement dissimulé derrière le sous-entendu et le non-dit. C'est au lecteur finalement de débrouiller l'affaire et d'entendre par lui-même, dans cet étrange écrit, sorte de monstre merveilleux qui tient à la fois du roman contemporain et du conte XVIIIème, la résonance des propos de l'auteur. Roman court à l'écriture fluide et élégante, à la prose soignée et parfois poétique, Les aventures du roi Pausole m'a amusée, déconcertée, et j'en suis sortie le sourire aux lèvres. "Surprenant de délicatesse".


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"Monsieur, l'homme demande qu'on lui fiche la paix ! Chacun est maître de soi-même, de ses opinions, de sa tenue et de ses actes, dans la limite de l'inoffensif. Les citoyens de l'Europe sont las de sentir à toute heure sur leur épaule la main d'une autorité qui se rend insupportable à force d'être toujours présente. Ils tolèrent encore que la loi leur parle au nom de l'intérêt public, mais lorsqu'elle entend prendre la défense de l'individu malgré lui et contre lui, lorsqu'elle régente sa vie intime, son mariage, son divorce, ses volontés dernières, ses lectures, ses spectacles, ses jeux et son costume, l'individu a le droit de demander à la loi pourquoi elle entre chez lui sans que personne l'ait invitée."

Images :
1 et 2. Photos anciennes trouvées au hasard sur Internet, sans référence.
3. Beuville, illustration pour Le roi Pausole

4 billet(s):

Hé hé : Puisque tu l'as fini, tu vas pouvoir me le prêter ! :-P

Vu que les intrigues prétextes à "discours" philosophiques ne m'effraient pas, et que, de plus, ceux de ce livre semblent tout à fait de mon goût, je suis très impatient de pouvoir le lire ! Enfin, si tu veux bien me le prêter bien sûr !

* Mode Clélie * "Hé ! Madame, de grâce ! Souffrez que l'on implore de vous l'honneur d'une lecture que vous vantez si profitable et si divertissante ! Joint que les passages impudiques par vous relevés, loin de diminuer mon imprudente curiosité, la redouble tout au contraire d'un zèle indiscret !"

samedi, 01 novembre, 2008  

Bien sûr que je vais te le prêter ! En espérant que tu le lises vite, que l'on puisse confronter nos impressions.
Je profite de ce commentaire pour signaler un très beau site sur Pierre Louÿs, qui contient pas mal d'informations et d'images intéressantes. Pour ceux qui voudraient en savoir et en voir un peu plus : http://www.pierrelouys.fr/

samedi, 01 novembre, 2008  

Ce conte philosophico-érotique est très tentant. Le roi Pausole est-il mis face à ses contradictions ou reste-t-il un personnage un peu falot ?

mardi, 04 novembre, 2008  

Oui, il est mis en face de ses contradictions, par la fuite de sa fille, la révolte des femmes du harem, et il en arrivera à des conclusions bien différentes de son petit quotidien bien rangé. Le roi falot profite donc de cette expérience pour en tirer un enseignement.
Merci pour le commentaire ! ;)

mardi, 04 novembre, 2008  

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