Carmen, de Mérimée


De cet auteur, je ne connaissais qu'une nouvelle à dominance fantastique, La Venus d'Ille qui, pour tout dire, ne m'avait pas réellement convaincue. Il faut avouer que le style assez sec de l'écrivain me rendait la lecture assez désagréable. Mais il y a avait une édition qui trainait depuis un moment chez moi, regroupant les deux nouvelles de la Venus d'Ille et de Carmen. Cherchant à ce moment-là une lecture de détente qui ne me prendrait pas trop de mon temps, je me suis dit que c'était le moment où jamais de tenter. Eh bien, je ne regrette pas car j'ai finalement apprécié cette lecture.

La première réaction que j'ai pu avoir lors de la lecture de Carmen, c'était l'étonnement. Il y a un certain décalage entre la froideur de l'écriture et les évènements racontés qui eux, sont tragiques. J'ai cru retrouver dans cette nouvelle des réminiscences de Manon Lescaut, dans un traitement certes différent. Nous sommes encore dans cette image d'un homme qui se laisse perdre par la fille qu'il aime, conscient et impuissant à la fois. Le jeune protagoniste sombre de plus en plus dans le crime, de la contrebande au vol, du vol au brigandage, du brigandage au meurtre. Amoureux fou d'une femme qui lui est inaccessible et peut-être incompréhensible, il est dévoré par la jalousie, déçu par les nombreuses trahisons, et malgré cela, il demeure à ses côtés, de plus en plus pressants. Entretenant l'espoir chimérique d'une vie rangée à deux, en Amérique, ce qu'elle n'envisage absolument pas. Le personnage de Carmen me semble intéressant, dans son incapacité à renoncer au désir, dans son attitude enfantine, insouciante et cruelle à la fois. Une sorte d'enfant-diable qui suit ses moindres intuitions et croit en la fatalité. La bohémienne apparait comme un peu sorcière, sensuelle et provocatrice. Marginale et étrangère, il s'agit d'un personnage auréolé de mystère, qui exerce une singulière attraction sur différents personnages de la nouvelle, tout en demeurant toujours insaisissable, dans son envie de liberté. Caractère fort et grande figure qui demeurera dans la tradition artistique, la bohémienne représente un personnage de l'ailleurs, du mystère, un personnage qui, comme son nom l'indique, vous charme malgré vous.

En l'occurrence, le style de Mérimée ne m'a pas tant dérangée puisqu'il contribue à donner une impression d'étrangeté et de dépaysement. Je garde un assez bon souvenir de ce court récit, notamment grâce au personnage de la bohémienne fantasque, danseuse, chanteuse et magicienne, marquant assez fortement l'esprit tout comme l'avait fait, à ma première lecture, le personnage de La Esmeralda dans Notre-Dame de Paris.


Lien sur Mérimée

Image : Gustave Doré
Musique : Blackfield - This Killer

Novembre se termine et j'ai failli sauter le pas, ce mois-ci. Pour ces derniers jours, je consigne, presque sans un mot, un petit extrait d'Eluard. Je ne connais pas très bien ce poète pour être sincère, mais certains de ses poèmes me parlent véritablement, tandis que d'autres me laissent tout à fait indifférente ... Jugement purement subjectif, au final. Ce qui me plaît dans celui-ci, c'est la considération du mot, le refus de certains d'entre eux, pour des raisons souvent étranges et arbitraires. Je retrouvais un peu ce bout de moi à l'intérieur de ce poème, même si mon intérêt pour celui-ci ne se limite bien évidement pas à ça.
Billet furtif, pour quelques vers libres et légers. Souffle de vent dans les fatigues d'hiver.

Quelques-uns des mots qui, jusqu'ici, m'étaient mystérieusement interdits


Le mot cimetière
Aux autres de rêver d'un cimetière ardent
Le mot maisonnette
On le trouve souvent
Dans les annonces des journaux dans les chansons
Il a des rides c'est un vieillard travesti
Il a un dé au doigt c'est un perroquet mûr


Pétrole
Connu par des exemples précieux
Aux mains des incendies


Neurasthénie un mot qui n'a pas honte
Une ombre de cassis entre deux yeux pareils


Le mot créole tout en liège sur du satin


Le mot baignoire qui est traîné
Par des chevaux parfaits plus laids que des béquilles


Sous la lampe ce soir charmille est un prénom
Et maîtrise un tiroir où tout s'immobilise


Fileuse mot fondant hamac treille pillée


Olivier cheminée au tambour de lueurs
Le clavier des troupeaux s'assourdit dans la plaine


Forteresse malice vaine


Forteresse malice vaine


Vénéneux rideau d'acajou


Guéridon grimace élastique


Cognée erreur jouée aux dés


Voyelle timbre immense
Sanglot d'étain rire de bonne terre


Le mot déclic viol lumineux
Éphémère azur dans les veines


Le mot bolide géranium à la fenêtre ouverte
Sur un coeur battant


Le mot carrure bloc d'ivoire
Pain pétrifié plumes mouillées


Le mot déjouer alcool flétri
Palier sans portes mort lyrique


Le mot garçon comme un îlot
Myrtille lave galon cigare
Léthargie bleuet cirque fusion
Combien reste-t-il de ces mots
Qui ne me menaient à rien
Mots merveilleux comme les autres
Ô mon empire d'homme
Mots que j'écris ici


Contre toute évidence
Avec le grand souci
De tout dire.

Les contes de Grimm

Retour à l'enfance avec ce recueil de contes choisis que je n'avais encore jamais lus sous leur forme originale. J'ai dévoré les contes de Grimm en deux jours, confortablement allongée sur le lit et emmitouflée dans la couette par ce temps froid. Un vrai petit plaisir.


J'y ai retrouvé beaucoup de contes que j'avais entendus puis lus lorsque j'étais petite : parmi ceux là, Le vaillant petit tailleur et ses "sept d'un coup !" , Les cygnes et leurs différentes versions, La petite gardeuse d'oie, La lumière bleue, Blanchette et Rosette, et L'ondine de l'étang. Parmi les plus classiques et les plus connus ici, il y a eu aussi Blancheneige ou encore La Belle au Bois-Dormant et Cendrillon dans des versions quelque peu différentes de celles que j'ai connu. Quelques autres aussi, sans qu'ils me soient familiers, ont attisé de vieux souvenirs, de par des motifs récurrents, des personnages, certaines péripéties ...

Les contes sont faciles à lire, parfois assez crus et souvent surprenants dans leur forme originelle (je pense notamment aux stratagèmes des deux sœurs dans Cendrillon, quand elles tentent en vain de faire entrer leur pied dans le petit soulier). Nous ne pouvons manquer de nous étonner, alors que nous sommes depuis longtemps habitués aux version plus édulcorées des livres pour enfants et des dessins animés. Il est intéressant de remarquer les similitudes, et les mêmes éléments qui passent d'un récit à l'autre. On se retrouve finalement face à un imposant bouquet de fleurs hétéroclites aux couleurs vives. Je regrette juste qu'il ne s'agisse que d'un petit florilège et qu'il manque donc un certain nombre de contes que j'aurais également lus avec plaisir (je précise que j'ai lu Les contes dans l'édition Folio Classique) ...

Toujours est-il que j'ai vraiment apprécié cette lecture, car je sens que quelque chose de fort se dissimule à moitié derrière les histoires merveilleuses de ces contes. Outre le fait que ces récits soient plus ou moins liés à mes lectures d'enfant, le côté excessif, dans le merveilleux comme dans l'horreur, me touche et pique ma curiosité. Il y a quelque chose qui m'intrigue dans ces récits qui semblent tous s'inscrire dans un schéma bien défini, mais qui réussissent malgré tout à broder de toutes les façons, en conservant chacun leur originalité et surtout leur étrangeté. Aujourd'hui, j'ai l'impression que quelque chose nous échappe à la lecture des contes. Nous avons en eux comme un morceau d'autrefois, un morceau de folklore un peu étranger , quelque chose que nous sommes de moins en moins capables de comprendre. J'avais déjà beaucoup aimé lire les contes de Perrault l'année dernière, mais là où chez Perrault et ses contemporains, j'y voyais surtout un amusant exercice de style, je trouve plus de spontanéité et de vigueur dans les contes que je viens de lire. C'était d'ailleurs, il me semble, la volonté clairement affichée des frères Grimm : retranscrire fidèlement les récits du folklore, afin de ne pas les laisser tomber dans l'oubli.

Enfin, je vous recommande cette lecture légère et agréable, elle m'a permis de m'évader quelque peu à un moment où j'avais véritablement besoin de poser un instant mon esprit, et de me délasser. Lire quelques contes m'a de cette façon permis de me ressourcer après avoir multiplié les lectures plus scolaires et plus conventionnelles.

Je me suis doucement promenée dans mes souvenirs, mon imagination d'alors s'est soudain éveillée, et a secoué la poussière de cendre qui recouvraient son manteau. Peut-être aussi ai-je fait quelques pas en dehors des limites, passant de l'Oniromancie aux anciens lieux de l'imaginaire collectif. Un survol plutôt qu'un voyage, mais peut-être qu'un jour, j'emprunterai de nouveau les mêmes chemins ...



Image : Chivalry - Dicksee

Musique : Bauhaus - She's in Parties


Dans un quotidien plus ou moins agité, le contexte des contrôles et des grèves à l'université, difficile de se lancer dans des lectures de longue haleine. J'ai tout de même fini dernièrement Le diable au corps de Raymond Radiguet et tenait à venir vous en parler un court instant.

C'est un livre qui, au final, me laisse un peu perplexe. Facile et rapide à lire, avec son style simple et sec, il ne me laisse pas un souvenir impérissable ... Mais je l'ai trouvé intéressant à plusieurs titres. Il me semble que ce court roman opérait un pas de plus dans le domaine des romans analysant le sentiment amoureux. Le héros, François, est un gamin de seize ans égocentrique, sans doute amoral - on ne sait au final, si on peut vraiment l'accuser. Du moins j'hésite - s'engage dans une relation adultérine avec une femme un peu plus vieille que lui et mariée à un soldat parti sur le front, dans le contexte de la première guerre mondiale. Au travers de cette relation, il en vient à détruire peu à peu sa compagne, qui par amour, accepte les moindres caprices de son amant, faisant fi des risques, des on-dit qui circulent de plus en plus, repoussant plus ou moins son mari. Il est intéressant de voir ce mélange d'innocence et de cynisme dans le caractère du jeune garçon, enfant irresponsable et jeune homme à la fois. Un ouvrage qui a fait scandale à une époque où le soldat revenu de la guerre était encore célébré, voire sacré ; ici, la guerre apparait comme la condition du bonheur des amants qui à chaque permission se trouvent séparés. Il y a de quoi rire doucement parfois, face à certaines phrases faussement naïves et déjà désabusées, face à des maximes plus ou moins innocentes disséminées ça et là. Je garde le souvenir d'une petite lecture agréable, en plein milieu des révisions et de la fatigue des jours d'automne.

"Aucun genre épistolaire n'est moins difficile que la lettre d'amour : il n'y est besoin que d'amour."

"Nous croyons être les premiers à ressentir certains troubles, ne sachant pas que l'amour est comme la poésie, et que tous les amants, même les plus médiocres, s'imaginent qu'ils innovent."






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