William Shakespeare, ça fait un peu peur ... C'est tout de même un très grand nom de la littérature, une figure mythique : ce n'est pas pour rien qu'on parle de "la langue de Shakespeare" pour désigner l'anglais. Du coup, je n'ai pas encore osé commencer une de ses tragédies, ça me paraissait peut-être trop grand, trop insurmontable, je ne sais pas trop. Cependant, j'ai (re)découvert une pièce comique qui porte également son nom en couverture, Le songe d'une nuit d'été et ce fut un réel plaisir.
Le songe d'une nuit d'été est une pièce étrange et complexe,mêlant plusieurs intrigues, faisant cohabiter deux à trois mondes que tout oppose : la noblesse d'Athènes, la troupe de rustres qui s'improvisent acteurs et le royaume des fées. L'intrigue, surprenante et changeante, est par là très difficile à résumer. Shakespeare nous conte l'histoire d'un triangle amoureux qui, après bien des péripéties, se verra résolu ... A l'aide de la magie. Il met en scène également la querelle d'Obéron et de Titania, souverains du royaume des fées, les facéties du lution Puck également appelé Robin Goodfellow ou encore la répétition d'une pièce pour le mariage de Thésée, de la part d'artisans de la Cité peu au fait des conventions théâtrales.A travers cette pièce, l'auteur se moque des conventions littéraires et des clichés poétiques : le lieu commun du coup de foudre, de l'amour naissant d'un simple regard y est particulièrement malmené ! En effet, à cause d'une petite fleur d'Occident, le triangle amoureux se voit totalement renversé tandis que la reine des fées tombe éperdument amoureuse d'un rustre affublé d'une tête d'âne. Tout en faisant de nombreuses fois référence à la littérature de l'Antiquité (particulièrement aux Métamorphoses d'Ovide et d'Apulée), Le songe se joue des traditions poétiques avec beaucoup d'humour.
Il s'agit en effet d'une pièce très drôle, émaillée de jeux de mots et autre pointes, usant et abusant de quiproquos et d'extraordinaires facilités de scénario. L'auteur puise dans les traditions médiévales et le folklore populaire mais aussi dans la mythologie et les codes littéraires : par conséquent, l'humour du Songe est de deux types, on trouvera dans la pièce les allusions et sous-entendus les plus grivois (c'est en tout cas ce que mon édition ne manquait pas de souligner) à côté d'un humour plus fin et souvent auto-référentiel, portant sur le thème de l'écriture et du théâtre.
Le plus important dans cette œuvre semble finalement se trouver là, dans la réflexion qui est livrée à propos de l'art théâtral et de l'illusion. Le titre même de la pièce, en créant un certain horizon d'attente, semble vouloir (la formule est lourde, mais je tenais à ce "semble") nous faire privilégier une interprétation parmi d'autres. L'essentiel de la pièce se passe en une seule nuit, le temps y est figé ou, comme dans les rêves, considérablement allongé ; au réveil, tandis que l'acte V commence de la même façon que l'acte I, les incidents de la nuit apparaissent comme un songe. Le réel semble alors encadrer ce qui n'était peut-être qu'un rêve fantaisiste et rien de plus. Mais cette interprétation est loin d'épuiser les ressources de la pièce ... Derrière la fantaisie, l'inconstance et la parodie se trouvent les bases d'une réflexion sur le théâtre et l'écriture. Dans cette œuvre où le vraisemblable est volontairement mis de côté au profit de l'imaginaire, Shakespeare interroge sans cesse son lecteur : jusqu'où est-il prêt à aller dans le pacte théâtral ? Toute pièce n'est-elle pas à l'image de cette mise en scène de Pyrame et Thisbé, cette "drôlerie très tragique" jouée par des artisans et longuement commentée par les spectateurs ?
A priori légère mais source de réflexions sur l'illusion, Le songe d'une nuit d'été est une pièce qui brouille volontairement les pistes et mêle les genres avec une grande virtuosité.
[Ceci n'est qu'un prétexte fallacieux pour intégrer une citation-sourire. Mais chut.]
Je n'entrerai pas dans les controverses à propos de l'identité de l'auteur des pièces publiées sous le nom de Shakespeare ( est-ce bien Shakespeare ? Est-ce Francis Bacon ? etc.) et vous quitterai donc sur ces mots d'Alphonse Allais : "Shakespeare n'a jamais existé. Toutes ses pièces ont été écrites par un inconnu qui portait le même nom que lui."
Musique : Gershwin - Rhapsody in Blue
Image : Fuseli - Titania and Bottom
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Ah j'adore la citation d'Alphonse Allais, elle m'a toujours fascinée. :-)
Sinon, j'ai lu Le Songe d'une Nuit d'Eté l'an dernier pour le challenge ABC et j'avais beaucoup aimé aussi. Comme je n'avais jamais lu Shakespeare (honte à moi), ce fut une belle découverte.
Anonyme a dit…
lundi, 07 juillet, 2008
Un bien joli billet ! Au sujet de l'identité de Shakespeare, la théorie de Jasper Fforde dans L'affaire Jane Eyre n'est pas mal non plus. ;-)
Anonyme a dit…
jeudi, 10 juillet, 2008
Quel beau billet pour un formidable génie. Il m'a fait aimé même la tragédie au théâtre et il est le seul, jusqu'à présent, à y être parvenu. Macbeth et Othello sont tout simplement parfaites. Quant au "Songe...", c'est une de ses plus belles comédies dont tu parles très justement.
Anonyme a dit…
mardi, 15 juillet, 2008
J'adore aussi cette pièce! Et tu en parles très très bien!
Anonyme a dit…
vendredi, 25 juillet, 2008