Ouvrage reçu dans le cadre du Swap Ciné-Livres, ce roman m'a tenue en haleine très exactement deux jours : autant dire que je l'ai dévoré !
Révélée au Tout-Paris par une fantaisie mythologique du théâtre des Variétés, Nana commence à faire son chemin dans la haute société du second Empire, enflammant les désirs et déchaînant les passions. Après elle, tous les lambeaux pourrissants d'une vieille société qui se meurt. Le personnage de cette jeune femme est représenté dans toute sa richesse, avec ses ambitions et ses emportements, ses calculs et ses contradictions. Fille des bas-fonds, elle semble mue par une véritable rage de destruction une fois parvenue aux plus hauts rangs de l'échelon social. Elle se plaît à casser tout ce qui peut passer entre ses mains blanches, brisant les hommes comme de simples sucriers de porcelaine. Pourtant, Zola ne cesse de l'affubler du qualificatif de "bonne fille" et nous répète souvent qu'elle n'est pas fondamentalement méchante. Nana est finalement comparée à une mouche d'or : "mouche de soleil, enveloppée d'ordure". C’est clinquant et triste, cette histoire de jeune fille qui, inconsciemment, se jette avec fureur dans ce beau monde auquel elle n’appartient pas et le pourrit, sans même le faire exprès, en criant son innocence.
Par son histoire et celle des personnages alentours - hommes qui la poursuivent et autres filles du milieu, Zola nous donne à voir une décadence en marche, la ruine d'une société dont les pilliers sont depuis longtemps vermoulus. Dans un long flot de descriptions étudiées, de dialogues truculents où la distinction côtoie le vulgaire, l’auteur fait se frôler deux mondes que tout oppose : une vieille élite mourante, figée et dévote face à un peuple de petits artistes et de courtisanes qui s’échelonne du plus bas souillon à la cocotte de luxe. Et finalement, ce que l'on tire de tout cela, c'est que sous les masques court le même relent de pourriture, des plus vils quartiers aux grands hôtels particuliers. Etrangement, j'ai songé au Journal d'une femme de chambre, en lisant certaines considérations, certaines expressions de la part de Nana et des autres courtisanes : dans le roman apparaît fréquemment l'idée que le vice n'est pas l'apanage des bas milieux et que les riches, sous leur visage respectable, sont généralement bien plus pervers qui quiconque. "Les scènes changent ; les décors se transforment ; vous traversez des milieux sociaux différents et ennemis ; et les passions restent les mêmes, les mêmes appétits demeurent." disait Célestine dans le roman d'Octave Mirbeau. La sensualité et l'érotisme de Nana l'ont d'ailleurs fait passer aux yeux de nombreux lecteurs, pour un roman pornographique, ce qui sera également le cas pour Le journal d'une femme de chambre. Bien sûr, le rapprochement s'arrête là, Zola et Mirbeau n'ayant pas du tout la même chose à nous dire à travers leurs écrits et pas du tout la même façon de le faire ; cependant je n'ai pu m'empêcher de faire le parallèle durant ma lecture.
Il y a tout de même quelque chose qui, personnellement, m'a un peu gênée tandis que je suivais la trajectoire - pour le moins chaotique- de Nana : c'est la signification que Zola veut lui donner. En effet, on sent les théories naturalistes arriver de très loin pour expliquer l'énergie destructrice mais inconsciente de cette jeune femme. La théorie du Roman expérimental est élaborée alors que Zola est en pleine écriture de Nana : les deux ouvrages paraissent la même année, en 1880. Aussi sent-on assez fortement une volonté didactique et moralisatrice de la part de l'auteur, non pas dans la trame même du roman, à laquelle on se laisse prendre assez facilement, mais dans l'explication du comportement des protagonistes, plus ou moins explicitement. Dans l'article que Fauchery consacre à Nana, il la compare à une "mouche d'or": "une fille, née de quatre ou cinq générations d’ivrognes, le sang gâté par une longue hérédité de misère et de boisson, qui se transformait chez elle en un détraquement nerveux de son sexe de femme. [...] Avec elle, la pourriture qu’on laissait fermenter dans le peuple, remontait et pourrissait l’aristocratie." Le narrateur ne dit franchement rien mais, quelques chapitres plus loin, la comparaison est reprise, cette fois-ci à son compte.
Cela étant, Nana demeure un roman très intéressant, soigneusement documenté et agréable écrit, assez vivant malgré la rigidité du cadre naturaliste. Les dernières pages du livre où l'héroïne s'est éteinte alors que résonnent dans les rues les cris "A Berlin !" est très forte, on sort de cette lecture comme d'une longue apnée, éprouvé, essoufflé. Un véritable foisonnement romanesque qui vous laisse un peu assommé et les idées floues. Ce qui frappe alors, c'est la force des images que Zola emploie, pour nous décrire la beauté factice et brillante des apparences comme la pourriture des corps et de la société de 1870.
Je terminerai cette note par des mots autres que les miens, en citant les propos élogieux de deux contemporains de Zola : Huysmans dit sortir de cette lecture "ébouriffé" et qualifie Nana en ces termes : "Le beau livre, et le livre neuf, absolument neuf dans votre série et dans tout ce qu'on a jusqu'à ce jour écrit." Flaubert, quant à lui, est dithyrambique : "J'ai passé hier toute la journée jusqu'à 11 heures et demie du soir à lire Nana, je n'en ai pas dormi de la nuit et 'j'en demeure stupide'. S'il fallait noter tout ce qu'il y a de rare et de fort, je ferais un commentaire à toutes les pages ! Les caractères sont merveilleux de vérité. Les mots natures foisonnent ; à la fin la mort de Nana est michelangelesque ! Un livre énorme, mon bon* !"
Révélée au Tout-Paris par une fantaisie mythologique du théâtre des Variétés, Nana commence à faire son chemin dans la haute société du second Empire, enflammant les désirs et déchaînant les passions. Après elle, tous les lambeaux pourrissants d'une vieille société qui se meurt. Le personnage de cette jeune femme est représenté dans toute sa richesse, avec ses ambitions et ses emportements, ses calculs et ses contradictions. Fille des bas-fonds, elle semble mue par une véritable rage de destruction une fois parvenue aux plus hauts rangs de l'échelon social. Elle se plaît à casser tout ce qui peut passer entre ses mains blanches, brisant les hommes comme de simples sucriers de porcelaine. Pourtant, Zola ne cesse de l'affubler du qualificatif de "bonne fille" et nous répète souvent qu'elle n'est pas fondamentalement méchante. Nana est finalement comparée à une mouche d'or : "mouche de soleil, enveloppée d'ordure". C’est clinquant et triste, cette histoire de jeune fille qui, inconsciemment, se jette avec fureur dans ce beau monde auquel elle n’appartient pas et le pourrit, sans même le faire exprès, en criant son innocence.
Par son histoire et celle des personnages alentours - hommes qui la poursuivent et autres filles du milieu, Zola nous donne à voir une décadence en marche, la ruine d'une société dont les pilliers sont depuis longtemps vermoulus. Dans un long flot de descriptions étudiées, de dialogues truculents où la distinction côtoie le vulgaire, l’auteur fait se frôler deux mondes que tout oppose : une vieille élite mourante, figée et dévote face à un peuple de petits artistes et de courtisanes qui s’échelonne du plus bas souillon à la cocotte de luxe. Et finalement, ce que l'on tire de tout cela, c'est que sous les masques court le même relent de pourriture, des plus vils quartiers aux grands hôtels particuliers. Etrangement, j'ai songé au Journal d'une femme de chambre, en lisant certaines considérations, certaines expressions de la part de Nana et des autres courtisanes : dans le roman apparaît fréquemment l'idée que le vice n'est pas l'apanage des bas milieux et que les riches, sous leur visage respectable, sont généralement bien plus pervers qui quiconque. "Les scènes changent ; les décors se transforment ; vous traversez des milieux sociaux différents et ennemis ; et les passions restent les mêmes, les mêmes appétits demeurent." disait Célestine dans le roman d'Octave Mirbeau. La sensualité et l'érotisme de Nana l'ont d'ailleurs fait passer aux yeux de nombreux lecteurs, pour un roman pornographique, ce qui sera également le cas pour Le journal d'une femme de chambre. Bien sûr, le rapprochement s'arrête là, Zola et Mirbeau n'ayant pas du tout la même chose à nous dire à travers leurs écrits et pas du tout la même façon de le faire ; cependant je n'ai pu m'empêcher de faire le parallèle durant ma lecture.
Il y a tout de même quelque chose qui, personnellement, m'a un peu gênée tandis que je suivais la trajectoire - pour le moins chaotique- de Nana : c'est la signification que Zola veut lui donner. En effet, on sent les théories naturalistes arriver de très loin pour expliquer l'énergie destructrice mais inconsciente de cette jeune femme. La théorie du Roman expérimental est élaborée alors que Zola est en pleine écriture de Nana : les deux ouvrages paraissent la même année, en 1880. Aussi sent-on assez fortement une volonté didactique et moralisatrice de la part de l'auteur, non pas dans la trame même du roman, à laquelle on se laisse prendre assez facilement, mais dans l'explication du comportement des protagonistes, plus ou moins explicitement. Dans l'article que Fauchery consacre à Nana, il la compare à une "mouche d'or": "une fille, née de quatre ou cinq générations d’ivrognes, le sang gâté par une longue hérédité de misère et de boisson, qui se transformait chez elle en un détraquement nerveux de son sexe de femme. [...] Avec elle, la pourriture qu’on laissait fermenter dans le peuple, remontait et pourrissait l’aristocratie." Le narrateur ne dit franchement rien mais, quelques chapitres plus loin, la comparaison est reprise, cette fois-ci à son compte.
Cela étant, Nana demeure un roman très intéressant, soigneusement documenté et agréable écrit, assez vivant malgré la rigidité du cadre naturaliste. Les dernières pages du livre où l'héroïne s'est éteinte alors que résonnent dans les rues les cris "A Berlin !" est très forte, on sort de cette lecture comme d'une longue apnée, éprouvé, essoufflé. Un véritable foisonnement romanesque qui vous laisse un peu assommé et les idées floues. Ce qui frappe alors, c'est la force des images que Zola emploie, pour nous décrire la beauté factice et brillante des apparences comme la pourriture des corps et de la société de 1870.
Je terminerai cette note par des mots autres que les miens, en citant les propos élogieux de deux contemporains de Zola : Huysmans dit sortir de cette lecture "ébouriffé" et qualifie Nana en ces termes : "Le beau livre, et le livre neuf, absolument neuf dans votre série et dans tout ce qu'on a jusqu'à ce jour écrit." Flaubert, quant à lui, est dithyrambique : "J'ai passé hier toute la journée jusqu'à 11 heures et demie du soir à lire Nana, je n'en ai pas dormi de la nuit et 'j'en demeure stupide'. S'il fallait noter tout ce qu'il y a de rare et de fort, je ferais un commentaire à toutes les pages ! Les caractères sont merveilleux de vérité. Les mots natures foisonnent ; à la fin la mort de Nana est michelangelesque ! Un livre énorme, mon bon* !"
* Spéciale dédicace à A.O
Image : Postcardstock on Deviantart
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Ah ! Nana ! un inoubliable de Zola ^^
Anonyme a dit…
mercredi, 28 mai, 2008
Contente que cette lecture t'ait plu. Je me demandais ce que tu pensais du colis comme je n'ai pas eu du tout de tes nouvelles depuis réception.
Pour moi aucun colis reçu, je désespère...
Anonyme a dit…
samedi, 31 mai, 2008