[S] De l'impossibilité d'écrire une note sur Marcel Schwob
Publié par Aphonsine aux alentours de mardi, février 24, 2009C'est après une convalescence inattendue que je reviens sur Plumes vous parler de Marcel Schwob - ou plutôt, vous expliquer un peu pourquoi je n'arrive pas à en parler. J'ai en effet repris goût à la lecture par la découverte de Cœur double, recueil publié en 1891. Mentionné par Wilde pour avoir corrigé les épreuves de Salomé, dédicataire d'Ubu roi, ce mystérieux bonhomme, illustre oublié d'aujourd'hui, a été au cœur de la vie littéraire de la fin du XIXème siècle.
Voilà qui pouvait m'intéresser. J'ai donc lu, cursivement, ce premier recueil, constitué de nombreux contes et nouvelles. Et j'ai voulu ensuite, dans toute ma candeur de jeune lectrice, vous en parler. C'est là que le bât blesse. Car Marcel Schwob, cet "indéchiffré", ne se laisse pas saisir comme cela aussi facilement, et si j'ai beaucoup apprécié Cœur double, je me vois presqu'incapable d'en parler sans généralisations grossières et confusions éhontées. ( ! )
Selon Marcel Schwob, "le cœur de l'homme est double ; l'égoïsme y balance la charité." C'est cette dialectique qui est sans cesse donnée à voir dans les nouvelles du recueil : d'abord au sein de la vie individuelle puis, plus largement, d'un point de vue historique et légendaire. Respectivement, première et deuxième partie du recueil. Partant de ce constat (les deux parts distinctes et contradictoires du cœur humain), Marcel Schwob nous présente une succession de récits étranges, grotesques et inquiétants, où l'individu se trouve confronté à un alter ego effrayant, menaçant ou castrateur ; donnant à voir la part de mystère irréductible à chaque être, ouvrant "comme une ouverture blafarde sur l'inconnu". A travers ce thème, Marcel Schwob s'intéresse finalement à l'inclassable et à l'extraordinaire, s'opposant frontalement aux tentatives du naturalisme. Refusant le positivisme, il prône la liberté de l'art, et se concentre sur l'étrange, le mouvant et le contingent. Ainsi déclare-t-il dans sa préface :
De cette expérience, je retiens surtout un réel plaisir de lecture. Tout en mouvance et en métamorphoses, la prose de Marcel Schwob m'a semblé d'une remarquable fluidité. D'une nouvelle à l'autre, l'auteur se joue des niveaux de langue, alterne vocabulaire savant, mots étrangers, argot populaire et langue d'autrefois. Termes rabelaisiens, mots latins et expressions vieillies se superposent, presque naturellement. Ces écrits relèvent pour une bonne part d'une littérature érudite, exploitant anecdotes historiques et faits de langue d'un autre temps. Et cela, au service d'une esthétique nouvelle, et d'un travail sur le verbe qui tient souvent de la poésie. Ce qui leur confère un charme tout particulier. Et c'est dans une agréable galerie de portraits, surprenante par sa diversité, que je me suis laissée emmener ... Il est amusant d'ailleurs de noter l'aisance avec laquelle Schwob passe du conte à la nouvelle. Dans Cœur double, on touchera parfois au légendaire en lisant des contes allégoriques, mythologiques ou historiques (le premier texte a tout de même pour titre "Les stryges"), et parfois l'on évoluera dans un univers tout ce qu'il y a de plus contemporain, en entendant, au détour d'un wagon de chemin de fer ou des fumées d'une fumerie d'opium, un peu d'argot des boulevards. Conte ou nouvelle, il n'en demeure pas moins que le récit est porté par une langue riche, et habilement travaillée.
Pourquoi vous en parler alors ? Parce que Coeur double rouvre mon champ d'investigations au sein de la littérature fin-de-siècle et qu'il est en ce sens, assez symptomatique de mes menus problèmes de lectrice, quand je plonge dans une oeuvre de ce type : je découvre, j'adore, je n'ai encore que peu d'éléments pour comprendre. Parce que malgré tout, j'avais envie de partager les quelques éléments que j'ai pu retenir et d'en garder une trace quelque part. Enfin et surtout parce que ce livre m'a procuré un réel plaisir de lecture, me tirant, symboliquement, de ma période de convalescence. Et bien qu'il tienne d'une littérature érudite, piochant dans une matière historique et linguistique pas toujours connue, Coeur double est un délice de lecture, baigné d'humour noir et d'horreur amusée, dans des nouvelles plus surprenantes les unes que les autres.*
Sur ce, je félicite le patient lecteur qui a su me suivre dans ces pérégrinations, et je vous souhaite à tous d'agréables pérégrinations littéraires !
Voilà qui pouvait m'intéresser. J'ai donc lu, cursivement, ce premier recueil, constitué de nombreux contes et nouvelles. Et j'ai voulu ensuite, dans toute ma candeur de jeune lectrice, vous en parler. C'est là que le bât blesse. Car Marcel Schwob, cet "indéchiffré", ne se laisse pas saisir comme cela aussi facilement, et si j'ai beaucoup apprécié Cœur double, je me vois presqu'incapable d'en parler sans généralisations grossières et confusions éhontées. ( ! )
~ * ~
Parler de tout un recueil relève toujours plus ou moins de la gageüre : il n'est pas forcément facile de rassembler des impressions éparses et de retrouver clairement une unité dans le rassemblement des textes. En ce qui concerne Marcel Schwob, je me suis retrouvée entre deux fronts : d'une part, j'ai senti au fil de ma lecture, une évolution certaine d'une nouvelle à l'autre, un glissement qui s'opère peu à peu ; d'autre part, chaque récit comporte son originalité propre, avec de grandes variations de ton et d'ambiance d'un texte à l'autre. Le recueil se divise d'ailleurs lui-même en deux parties parfaitement distinctes : Cœur double et La légende des gueux qui, si elles traitent toutes deux des différentes acceptions de la "Terreur" et de la "Pitié", les placent sur des plans différents. Mais, me demanderez-vous, quelle est cette histoire de terreur et de pitié ? L'auteur s'en explique longuement dans une préface où , tout en posant les fondements d'une esthétique nouvelle, il expose une conception tragique de l'homme.Selon Marcel Schwob, "le cœur de l'homme est double ; l'égoïsme y balance la charité." C'est cette dialectique qui est sans cesse donnée à voir dans les nouvelles du recueil : d'abord au sein de la vie individuelle puis, plus largement, d'un point de vue historique et légendaire. Respectivement, première et deuxième partie du recueil. Partant de ce constat (les deux parts distinctes et contradictoires du cœur humain), Marcel Schwob nous présente une succession de récits étranges, grotesques et inquiétants, où l'individu se trouve confronté à un alter ego effrayant, menaçant ou castrateur ; donnant à voir la part de mystère irréductible à chaque être, ouvrant "comme une ouverture blafarde sur l'inconnu". A travers ce thème, Marcel Schwob s'intéresse finalement à l'inclassable et à l'extraordinaire, s'opposant frontalement aux tentatives du naturalisme. Refusant le positivisme, il prône la liberté de l'art, et se concentre sur l'étrange, le mouvant et le contingent. Ainsi déclare-t-il dans sa préface :
La science cherche le général par le nécessaire; l'art doit chercher le général par le contingent ; pour la science le monde est lié et déterminé ; pour l'art le monde est discontinu et libre ; la science découvre la généralité extensive ; l'art doit faire sentir la généralité intensive ; si le domaine de la science est le déterminisme, le domaine de l'art est la liberté."
De cette expérience, je retiens surtout un réel plaisir de lecture. Tout en mouvance et en métamorphoses, la prose de Marcel Schwob m'a semblé d'une remarquable fluidité. D'une nouvelle à l'autre, l'auteur se joue des niveaux de langue, alterne vocabulaire savant, mots étrangers, argot populaire et langue d'autrefois. Termes rabelaisiens, mots latins et expressions vieillies se superposent, presque naturellement. Ces écrits relèvent pour une bonne part d'une littérature érudite, exploitant anecdotes historiques et faits de langue d'un autre temps. Et cela, au service d'une esthétique nouvelle, et d'un travail sur le verbe qui tient souvent de la poésie. Ce qui leur confère un charme tout particulier. Et c'est dans une agréable galerie de portraits, surprenante par sa diversité, que je me suis laissée emmener ... Il est amusant d'ailleurs de noter l'aisance avec laquelle Schwob passe du conte à la nouvelle. Dans Cœur double, on touchera parfois au légendaire en lisant des contes allégoriques, mythologiques ou historiques (le premier texte a tout de même pour titre "Les stryges"), et parfois l'on évoluera dans un univers tout ce qu'il y a de plus contemporain, en entendant, au détour d'un wagon de chemin de fer ou des fumées d'une fumerie d'opium, un peu d'argot des boulevards. Conte ou nouvelle, il n'en demeure pas moins que le récit est porté par une langue riche, et habilement travaillée.
~ * ~
Voilà pour exemple quelques éléments que j'aurais pu relever si j'avais réellement fait une note sur Marcel Schwob. Seulement voilà : plusieurs fois j'ai eu l'impression, alors que je m'efforçais à écrire quelque chose sur ce livre, qu'il me manquait quelque chose pour en pénétrer tout le sens. L'œuvre que j'ai lu ne déborde-t-elle pas un peu trop le propos théorique tenu par l'auteur ? N'y a-t-il pas quelque chose d'autre qui dort, entre ces lignes ? A la fin de cette lecture, j'ai eu envie d'en savoir plus ... Et pour l'instant, je n'en sais pas plus.Pourquoi vous en parler alors ? Parce que Coeur double rouvre mon champ d'investigations au sein de la littérature fin-de-siècle et qu'il est en ce sens, assez symptomatique de mes menus problèmes de lectrice, quand je plonge dans une oeuvre de ce type : je découvre, j'adore, je n'ai encore que peu d'éléments pour comprendre. Parce que malgré tout, j'avais envie de partager les quelques éléments que j'ai pu retenir et d'en garder une trace quelque part. Enfin et surtout parce que ce livre m'a procuré un réel plaisir de lecture, me tirant, symboliquement, de ma période de convalescence. Et bien qu'il tienne d'une littérature érudite, piochant dans une matière historique et linguistique pas toujours connue, Coeur double est un délice de lecture, baigné d'humour noir et d'horreur amusée, dans des nouvelles plus surprenantes les unes que les autres.*
Sur ce, je félicite le patient lecteur qui a su me suivre dans ces pérégrinations, et je vous souhaite à tous d'agréables pérégrinations littéraires !
*Par ailleurs, je subodore que vous réentendrez parler de ce bonhomme à un moment ou à un autre. Outre le fait que je pense parler plus précisément d'une nouvelle ou deux de ce recueil, histoire de donner une idée plus précise de son contenu, mon édition comprend un livre plus court et à portée plus philosophique intitulé Le livre de Monelle que je compte bien lire un de ces jours. Enfin, comme je n'aime pas rester sur un relatif échec (il m'a tout de même fallu user de moyens détournés pour écrire tout ceci), j'espère pouvoir me documenter davantage, histoire, peut-être, de parler plus précisément de cet auteur un jour.
Images :
Désolée pour cette surcharge de symbolisme.
1. Puvis de Chavannes - Allégorie de la vie
2. Fernand Khnopff - Le sphynx
3. Gustav Klimt, mais horizontal.
Images :
Désolée pour cette surcharge de symbolisme.
1. Puvis de Chavannes - Allégorie de la vie
2. Fernand Khnopff - Le sphynx
3. Gustav Klimt, mais horizontal.
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Pour quelqu'un qui dit se trouver dans l'impossibilité d'écrire sur Schwob, je trouve que vous en tirez plus tôt bien.
zeb a dit…
mardi, 24 février, 2009
mince j'allais dire la même chose que Zeb!!!! ;o)
je me replonge avec delice dans les symbolistes en ce moment!!!
Lamousmé a dit…
mercredi, 25 février, 2009
C'est vrai que c'est une littérature érudite, mais je partage complètement ta fascination pour ce genre de récits étranges et pour l'atmosphère fin de siècle. Certains récits du livre de Monelle m'avaient beaucoup marquée (Madge, la "soeur perverse" de Monelle), ainsi que les "Vies imaginaires", parfaitement écrites. Je te conseille aussi la lecture du récit consacré à Schwob dans "Chers disparus" de Claude Pujade-Renaud, qui le relie à d'autres écrivains, en particulier Stevenson qu'il admirait.
Anonyme a dit…
samedi, 28 février, 2009
zeb : Merci =) En tout cas, je n'ai réussi à écrire quelque chose qu'en utilisant ces moyens détournés. Je m'emberlificotais tout le temps dans mes propres phrases, et ne savait par quel bout attaquer ... Coeur double fut un des livres dont j'ai eu le plus de mal à parler, ces derniers temps. Drôle d'expérience ...
Lamousné : Il est vrai qu'ils ont fait des choses dignes d'intérêt. D'ailleurs dans les nouvelles du recueil, il y en a une (Lilith) inspirée par Rossetti qui est, je crois, un peintre que tu apprécies. La nouvelle n'est peut-être pas très élogieuse, mais elle est magnifiquement écrite. ;)
Rose : Merci pour le conseil ! Le livre de Monelle figure parmi mes projets de lecture. Je pensais d'abord l'attaquer tout de suite après Cœur double, mais j'ai préféré faire une pause entre les deux, histoire de laisser décanter un peu ce que j'ai déjà lu.
Et merci à vous d'avoir gratifié cette note sur Marcel Schwob de ces trois commentaires ! ;)
Aphonsine a dit…
dimanche, 01 mars, 2009