Vous ne vous sentez pas attirés par la littérature du XVIIème siècle, n'y voyant que des bonhommes bien sages et bien sérieux toujours occupés à règlementer la littérature ? Vous pensez qu'il n'y avait alors que Racine, Mme de la Fayette et compagnie, et qu'il n'y a donc plus grand chose à voir à cette période ? (Je précise que j'aime beaucoup Racine et Mme de la Fayette.) Vous trouvez l'histoire de la littérature bien trop lisse ? Alors, je vous recommande de découvrir le personnage de Scarron. Il est aujourd'hui surtout connu pour sa légendaire infirmité et pour le destin de la jolie demoiselle qu'il épousa en 1652 et qui n'est autre que la future Madame de Maintenon. Mais Scarron est aussi un homme de lettres qui écrivit nouvelles, pièces de théâtre et autres récits burlesques.
Je souhaitais lire ce livre afin d'avoir un contrepoint à ma lecture de la Clélie, roman héroïco-galant qui lui est contemporain. Et à ce titre, j'ai visé juste. Scarron se propose, dès son titre, de réaliser quelque chose que les œuvres de Mlle de Scudéry ou celles de ses collègues ne veulent absolument pas faire : parler de la réalité, de la vulgaire et simple réalité, celle des petites gens. Elle est loin l'atmosphère des salons mondains où l'on recherche les plaisirs raffinés d'une conversation réglée ; Le roman comique nous introduit dans le quotidien d'une troupe de comédiens ambulants et traîne son lecteur d'auberges en tripots, en passant par des campagnes reculées et des scènes improvisée au beau milieu des places publiques. Roman comique, au sens où il parle des comédiens, il l'est aussi par opposition aux tendances du roman de l'époque, entrant presque en contradiction avec le terme de "roman", genre qu'on essaie alors de légitimer en le définissant comme une épopée en prose. Là n'est pas la démarche de Scarron. Les premiers mots du roman placent d'ailleurs l'ouvrage sous le signe de la raillerie et du burlesque : c'est la première flèche (et non la dernière) décochée au roman héroïque, et à son ton jugé grandiloquent :
" Chapitre premier. Une troupe de comédiens arrive dans la ville du Mans.
Le soleil avait achevé plus de la moitié de sa course et son char, ayant attrapé le penchant du monde, roulait plus vite qu'il ne voulait. Si les chevaux eussent voulu profiter de la pente du chemin, ils eussent achevé ce qui restait du jour en moins d'un demi-quart d'heure ; mais au lieu de tirer de toute leur force, ils ne s'amusaient qu'à faire des courbettes, respirant un air marin qui les faisait hennir et les avertissait que la mer était proche, où l'on dit que leur maître se couche toute les nuits. Pour parler plus humainement et plus intelligiblement, il était entre cinq et six quand une charrette entra dans les halles du Mans."
" Chapitre premier. Une troupe de comédiens arrive dans la ville du Mans.
Le soleil avait achevé plus de la moitié de sa course et son char, ayant attrapé le penchant du monde, roulait plus vite qu'il ne voulait. Si les chevaux eussent voulu profiter de la pente du chemin, ils eussent achevé ce qui restait du jour en moins d'un demi-quart d'heure ; mais au lieu de tirer de toute leur force, ils ne s'amusaient qu'à faire des courbettes, respirant un air marin qui les faisait hennir et les avertissait que la mer était proche, où l'on dit que leur maître se couche toute les nuits. Pour parler plus humainement et plus intelligiblement, il était entre cinq et six quand une charrette entra dans les halles du Mans."
Qu'en est-il alors, de cet ouvrage ? Ce qui marque assez fortement à le lecture, en premier lieu, c'est son humour. La lecture du Roman Comique provoque souvent le rire : situations ridicules et personnages grotesques parsèment l'ouvrage de bout en bout. Il y a en particulier la figure de Ragotin, "petit homme veuf d'une petite femme, qui avait une petite charge dans une petite juridiction" qui, au fil des chapitres, est tour à tour écrasé par deux comédiennes et un sac d'avoine après avoir chu dans l'escalier, enfermé dans un coffre, dénudé avant de croiser un convoi de religieuses et d'être enlevé et ligoté par de parfaits inconnus, poursuivi tout nu par des abeilles en colère, poussé dans les égouts au terme d'une bataille lors d'un spectacle de théâtre, sans cesse maltraité par ses camarades qui, plutôt que d'éprouver une quelconque pitié pour ses malheurs, ne peuvent s'empêcher de rire, voire de participer à ses multiples disgrâces. Le portrait me semble assez éloquent. Les ridicules qui semblent parsemer le roman sont d'ailleurs renforcés par les multiples interventions d'un auteur espiègle, qui se plait à balader son lecteur, brouillant les pistes. "Peut-être que je fais dans mon livre comme ceux qui mettent la bride sur le col de leurs chevaux et les laissent aller sur leur bonne foi. Peut-être aussi que j'ai un dessein arrêté ..." Lecteur, à toi de te débrouiller ! Scarron n'hésitera pas non plus à donner des titres clin-d'oeil à ses chapitres, comme le chapitre 11 de la première partie qui s'intitule : "Qui contient ce que vous verrez, si vous prenez la peine de le lire". J'ai donc ressenti beaucoup de plaisir à la lecture de ce roman au style enlevé qui prête souvent à sourire.
Mais Le roman comique n'est pas pour autant dépourvu de romanesque. Histoires enchâssées, extraordinaires facilités de scénario, enlèvements divers, combats et course s poursuites sont légion dans ce petit ouvrage. Sans compter les origines mystérieuses de nos héros comédiens, Le Destin et l'Etoile, jeunes amoureux sans doute issus de bonne famille et qui ont fui dans une troupe de comédiens. Il y a plusieurs histoires intégrées dans la trame du roman, récits rétrospectifs de l'histoire des héros, ou récits racontés par des personnages secondaires. Ces derniers, souvent inspirés de nouvelles espagnoles, donnent l'occasion à des histoires d'amour et d'aventure, avec de jeunes filles déguisées en hommes, des enlèvements, des fausses morts et des rivalités entre frères. L'univers du rêve et de l'illusion n'est donc pas bien loin et ces héros fictifs viennent contrebalancer les aventures burlesques de nos comédiens. On remarquera d'ailleurs que le roman cherche instaurer un rythme particulier, compensant les passages comiques et les histoires fictives, en faisant se succéder récits d'héroïsme et bagarre dans les auberges et en montrant des péripéties inouïes ... Dans un monde comme dans l'autre. On verra en effet que les enlèvements, les courses poursuites et autres combats ne sont pas absents de la vie quotidienne de la troupe. Ils ne sont juste pas traités avec le même ton ...
J'ai apprécié aussi, au cours de ma lecture, la plongée dans l'univers de la province et dans la vie le quotidien chaotique des comédiens ambulants, ballotés de villes en villes, soumis aux demandes et aux conditions extérieures.
Le roman comique est finalement une œuvre riche et divertissante. Singulièrement vivante, aussi. Si les longues analyses du cœur humain, les discussions sur le sentiment amoureux, si les romans et nouvelles galants ne vous ont jamais tentés, jetez quand même un coup d'œil vers Scarron, ce bonhomme oublié des histoires littéraires et des cours de français : il a peut-être quelque chose d'autre à vous offrir ...
Mais Le roman comique n'est pas pour autant dépourvu de romanesque. Histoires enchâssées, extraordinaires facilités de scénario, enlèvements divers, combats et course s poursuites sont légion dans ce petit ouvrage. Sans compter les origines mystérieuses de nos héros comédiens, Le Destin et l'Etoile, jeunes amoureux sans doute issus de bonne famille et qui ont fui dans une troupe de comédiens. Il y a plusieurs histoires intégrées dans la trame du roman, récits rétrospectifs de l'histoire des héros, ou récits racontés par des personnages secondaires. Ces derniers, souvent inspirés de nouvelles espagnoles, donnent l'occasion à des histoires d'amour et d'aventure, avec de jeunes filles déguisées en hommes, des enlèvements, des fausses morts et des rivalités entre frères. L'univers du rêve et de l'illusion n'est donc pas bien loin et ces héros fictifs viennent contrebalancer les aventures burlesques de nos comédiens. On remarquera d'ailleurs que le roman cherche instaurer un rythme particulier, compensant les passages comiques et les histoires fictives, en faisant se succéder récits d'héroïsme et bagarre dans les auberges et en montrant des péripéties inouïes ... Dans un monde comme dans l'autre. On verra en effet que les enlèvements, les courses poursuites et autres combats ne sont pas absents de la vie quotidienne de la troupe. Ils ne sont juste pas traités avec le même ton ...
J'ai apprécié aussi, au cours de ma lecture, la plongée dans l'univers de la province et dans la vie le quotidien chaotique des comédiens ambulants, ballotés de villes en villes, soumis aux demandes et aux conditions extérieures.
Le roman comique est finalement une œuvre riche et divertissante. Singulièrement vivante, aussi. Si les longues analyses du cœur humain, les discussions sur le sentiment amoureux, si les romans et nouvelles galants ne vous ont jamais tentés, jetez quand même un coup d'œil vers Scarron, ce bonhomme oublié des histoires littéraires et des cours de français : il a peut-être quelque chose d'autre à vous offrir ...
Images :
Gerrit van Honthorst - Le concert au balcon (1624)
Gerrit van Honthorst - Le joyeux violoniste (1623)
Gerrit van Honthorst - Le concert au balcon (1624)
Gerrit van Honthorst - Le joyeux violoniste (1623)
Libellés : Lecture
Article plus récent Article plus ancien Accueil
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Je le rajoute à ma liste de romans paillards à découvrir un jour ! L'humour pré-XIXe siècle me plaît beaucoup, et c'est vrai que les auteurs burlesques sont complètement ignorés dans les programmes scolaires.
Anonyme a dit…
vendredi, 12 décembre, 2008
J'adore ce roman.
Anonyme a dit…
samedi, 13 décembre, 2008
Intéressant ce billet... je ne connaissais pas vraiment (pour ne pas dire pas du tout) ce genre littéraire à cette époque!
Anonyme a dit…
samedi, 13 décembre, 2008
C'est un merveilleux souvenir de lecture pour moi! Une des oeuvres que m'aura fait découvrir un professeur de lettre acariâtre! Rien que pour ça, je l'aime encore très fort! Jamais je n'aurais imaginé que la littérature de cette époque puisse être ausi drôle, touffue et passionnante!
Anonyme a dit…
dimanche, 14 décembre, 2008