Florilège érotique.

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Un si petit livre, si morcelé, si diversifié, ça ne se lit pas, ça se feuillette. Cela fait déjà quelques temps que j'ai parcouru les pages de cette "anthologie", et j'ai, pour écrire cette note, terminé ce petit recueil.


Plus qu'une anthologie, l'ouvrage proposé par Gilles Guilleron est un florilège. Nous sont proposés de nombreux et courts extraits - prose, dialogues, poèmes -, issus d'époques diverses (du Moyen-Age au début de notre siècle) qui traitent d'amour, chacun à leur façon. L'un des premiers avantages de ce petit livre, c'est sa diversité : les textes qui y sont regroupés touchent tous les genres, toutes les écoles, et des époques très différentes. Il s'agit bien sûr d'un choix, difficile, et si l'on pourra regretter peut-être certaines absences, on ne peut que souligner la volonté d'éclectisme. Et l'on passe, au fil des pages, au fil des textes, du plus classique, du plus connu (poésies de Rimbaud, fameux poème de Louise Labé pour ne citer que ces deux exemples) au plus inconnu (je suis parfois tombée sur des auteurs considérés comme secondaires, et dont je n'avais jamais entendu parler.)

Je ne m'attarderai pas sur le terme d'anthologie, peut-être mal choisi, et pouvant induire en erreur le lecteur, et passerai tout de suite aux interrogations que cet ouvrage a soulevé. Il me semble en effet que par sa sélection, un tel recueil pose la question du sens du mot "érotisme", ou encore celle de la distinction entre l'érotisme et la pornographie. Selon le Trésor de la Langue française, est érotique ce qui provoque le désir amoureux, ce qui traite de l'amour charnel et peut inciter à la volupté. Si l'on prend le mot en ce sens, le contenu de ce recueil pose, peut-être, problème. On me dira que c'est une question de subjectivité. Soit. Mais tous les textes, s'ils traitent d'un seul et même thème, ne le font pas d'une façon semblable et avec les mêmes buts. A la lecture de certains extraits, notamment quand on franchit les bornes du XXème siècle, on peut se dire, à la lecture, que ce n'est pas le désir que certains auteurs ont voulu évoquer. Parfois, ce sera le dégoût, parfois un sentiment amer, parfois le dessin désabusé de la violence humaine. En cela, n'est-ce pas trahir les significations de certains extraits, que de les sortir de leur contexte, et de les présenter comme des textes érotiques ? La question n'est pas simple.

Prenons comme exemple l'extrait de la Religieuse, de Diderot, qui nous est proposé dans ce recueil. Dans cet ouvrage, l'auteur se livre à une satire des couvents, avec une attention portée aux effets, physiques et psychologiques, de l'aliénation sur l'individu, tandis que la préface annexe amène toute une réflexion esthétique, sur le pouvoir de l'illusion. Le texte qui nous est proposé décrit, par l'intermédiaire de Suzanne, une scène amoureuse entre elle et la supérieure. Le texte, remarquablement écrit, méritait une place dans une anthologie du genre. Seulement, en le détachant de son contexte, en ne présentant pas ses spécificités, un tel choix risque de générer des contresens. Diderot, dans cette scène, reprend un topos de la littérature érotique de son temps : le motif de Sapho au couvent. Mais il le détourne : plus qu'une description purement érotique, Diderot énumère, par l'intermédiaire de son innocente héroïne, les symptômes cliniques d'une 'maladie' dont souffre la mère supérieure, victime, elle aussi, de l'enfermement forcé, succombant bientôt à la folie. Enfin, si le choix de ce texte semble légitime, la présentation qui en est faite risque de générer des contresens, et, surtout, empêche d'en comprendre l'enjeu et l'originalité du texte. Dans La Religieuse, Diderot ne se contente pas de reprendre tel quel un motif traditionnel du roman libertin pour écrire lui-même de la littérature érotique. La présentation du texte de Mirbeau pourrait susciter, en ce sens, la même remarque.

J'ai cependant conscience qu'il s'agit d'un ouvrage court et qu'il n'était pas possible de poser, à chaque fois, les spécificités du texte, dans un paragraphe. Cela me semble dommage, car si je lis des anthologies, c'est dans l'espoir de trouver des textes qui m'interpelleront et que j'aurai envie de lire, de parcourir ensuite. Cependant, je serais injuste en terminant sur cette réserve, car l'ouvrage est agréable à lire. Idéal à feuilleter, dans un instant de distraction, alors qu'on n'a pas le temps d'entamer une lecture suivie. Juste le temps de picorer quelques mots avant de s'éclipser ailleurs.

~*~

Pour terminer, je vous proposerai à la lecture un texte de Flaubert (Mémoires d'un fou), que je ne connaissais pas, et qui m'a semblé très beau (bien sage, me direz-vous, par rapport à d'autres extraits, mais il fait partie de ceux qui m'ont vraiment interpelée) :

"Elle me regarda.
Je baissai les yeux et rougis. Quel regard, en effet ! comme elle était belle, cette femme ! je vois encore cette prunelle ardente sous un sourcil noir se fixer sur moi comme un soleil.

Elle était grande, brune, avec de magnifiques cheveux noirs qui lui tombaient en tresse sur les épaules ; son nez était grec, ses yeux brûlants, ses sourcils hauts et admirablement arqués, - sa peau était ardente et comme veloutée avec de l'or ; elle était mince et fine, on voyait des veines d'azur serpenter sur cette gorge brune et pourprée. Joignez à cela un duvet fin qui brunissait sa lèvre supérieure et donnait à sa figure une expression mâle et énergique à faire pâlir les beautés blondes. On aurait pu lui reprocher tromp d'embonpoint ou plutôt un négligé artistique - aussi les femmes en général la trouvaient-elles de mauvais ton. Elle parlait lentement : c'était une voix modulée, musicale et douce. - Elle avait une robe fine de mousseline blanche qui laissait voir les contours moelleux de son bras.
Quand elle se leva pour partir, elle mit une capote blanche avec un seul noeud rose. Elle ne noua d'une main fine et potelée, une de ces mains dont on rêve longtemps et qu'on brûlerait de baisers.
Chaque matin, j'allais la voir se baigner ; je la contemplais de loin sous l'eau, j'enviais la vague molle et paisible qui battait sur ses flancs et couvrait d'écume sa poitrine haletante, je voyais le contour de ses membres sous les vêtements mouillés qui la couvraient, je voyais son coeur battre, sa poitrine se gonfler ; je contemplais machinalement son pied se poser sur le sable, et mon regard restait fixé sur la trace de ses pas, et j'aurais pleuré presque en voyant le flot les effacer lentement.
Et puis quand elle revenait et qu'elle passait près de moi, que j'entendais l'eau tomber de ses habits et le frôlement de sa marche, mon coeur battait avec violence ; je baissais les yeux, le sang me montait à la tête. - J'étouffais. Je sentais ce corps de femme à moitié-nu passer près de moi avec le parfum de la vague. Sourd et aveugle, j'aurais deviné sa présence, car il y avait en moi quelque chose d'intime et de doux qui se noyait en extase et en gracieuses pensées, quand elle passait ainsi.
Je crois voir encore la plage où j'étais fixé sur le rivage ; je vois les vagues accourir de toutes parts, se briser, s'étendre ; je vois la plage festonnée d'écume ; j'entends le bruit des voix confuses des baigneurs parlant entre eux, j'entends le bruit de ses pas, j'entends son haleine quand elle passait près de moi.
J'étais immobile de stupeur comme si la Vénus fût descendue de son piédestal et s'était mise à marcher. C'est que, pour la première fois alors, je sentais mon coeur, je sentais quelque chose de mystique, d'étrange comme un sens nouveau. J'étais baigné de sentiments infinis, tendres ; j'étais bercé d'images vaporeuses, vagues ; j'étais plus grand et plus fier tout à la fois.
J'aimais."

4 billet(s):

Très intéressant, ce bilan, avec les réserves que tu émets.

lundi, 27 juillet, 2009  

Moi aussi j'ai été frappée par les grandes variations de tons des divers textes de cette anthologie... c'est une lecture intéressante même si d'autres anthologies sont plus abouties.

jeudi, 06 août, 2009  

Je serais curieuse de savoir la différence que vos faites entre "anthologie" et "florilège", employant quant à moi l'un et l'autre comme synonymes...

Les réserves que vous soulevez marquent peut-être une des réussites de ce genre d'ouvrage toujours imparfait car fragmentaire : celle de pousser à s'interroger sur la pertinence d'un choix qui ne peut manquer de faire converger les textes en un même sens, gommant au passage les spécificités et les enjeux de chacun. N'est-on pas alors plus à même d'apprécier l'unicité de chaque ouvrage que si l'extrait nous avait simplement donné envie de lire la suite ? - et d'ailleurs si l'extrait était trop parfaitement remis dans son contexte et formait à lui seul un nouveau tout, aurait-on véritablement envie d'aller lire l'œuvre dont il est tiré ?

[Ce qui est curieux dans le texte de Flaubert, je trouve, c'est que le dernier paragraphe clôture l'évocation de la femme avec la première personne récurrente qui efface presque la deuxième. Cela culmine dans l'emploi intransitif du verbe aimer : effacée la personne aimée, simple rêverie qui prête ses traits à Vénus. L'amour comme sentiment "vaporeux" dont on s'enveloppe et qui voile celle qui l'inspire - cela la pare assurément, mais la fait également disparaître !]

dimanche, 09 août, 2009  

@khâryatide : Je serais curieux, à mon tour, de savoir ce que vous avez essayé de nous dire dans votre deuxième paragraphe. Tout particulièrement, je vous saurai un gré infini de m'aider à percer l'obscurité de cette question, qui se voulait apparemment rhétorique : "N'est-on pas alors plus à même d'apprécier l'unicité de chaque ouvrage que si l'extrait nous avait simplement donné envie de lire la suite ?"

Pour vous, si je vous comprends - mais c'est ce dont je doute très fortement - plus un recueil efface les "spécificités" et "enjeux" de chaque extrait (plus on gomme leur "unicité", donc) pour les tirer vers un point de convergence, plus l'on est à même "d'apprécier l'unicité" de chaque extrait ? A contrario, si l'extrait est trop bien remis dans son contexte (c'est-à-dire si l'on nous permet trop d'en comprendre l'unicité, justement), alors on a plus vraiment envie de lire l'œuvre dont il est tiré ? Mais par quelle bizarrerie psychologique ? Bien présenté ou non, si un extrait est bon, s'il nous a ravi, dans tous les sens du terme, pourquoi ne désirerions-nous pas "aller lire l'œuvre dont il est tiré" ? Entre nous, si quelqu'un me confiait n'avoir pas désiré prendre connaissance d'un ouvrage pour en avoir lu un extrait passionnant mais trop bien "remis dans son contexte" dans une anthologie, je ne pourrais m'empêcher de penser que cet individu est un bien curieux lecteur.


Non, vraiment, je crois que je ne vous ai pas comprise du tout.

lundi, 10 août, 2009  

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