Difficile de commencer un billet à propos de cette œuvre ... Tout d'abord, d'un point de vue strictement subjectif, je ne saurais dire si j'ai apprécié ou non ce roman. Il me laisse comme une impression floue, mal définie, entre le sucré et l'amer. Et le problème ne se résout pas vraiment avec une approche plus méthodique. J'ai découvert Mademoiselle de Maupin directement, en passant outre l'introduction de mon édition et la longue préface de l'auteur : j'aime avoir un regard neuf sur une œuvre, pouvoir me laisser surprendre, me tromper parfois dans mes interprétations. Ce n'est qu'après que je lis l'appareil critique, afin de consolider un jugement que j'aurais déjà plus ou moins échafaudé toute seule. Dans le cas de ce roman, les choses ne sont pas simples : outre le fait que je n'ai pas compris grand chose à l'introduction, la préface écrite par Gautier semble totalement indépendante, constituant à la fois un manifeste de l'écriture romantique et une attaque virulente envers les critiques journalistiques. De plus, ce qui m'a sans doute également gênée, c'est que je ne me suis pas retrouvée en terrain connu, contrairement à ce que je pensais. J'avais en effet déjà lu du Théophile Gautier, notamment le recueil des Récits fantastiques, mais Mademoiselle de Maupin est un récit d'un tout autre genre.
Au final, beaucoup d'éléments amènent à un bilan de lecture plus que mitigé. N'étant pas vraiment habituée à rédiger des critiques un peu négatives - j'ai eu la chance, ces derniers temps, de ne pas tomber sur de mauvaises surprises ; et je chronique rarement un livre qui m'a indifférée- , j'opterais pour une organisation certes simpliste mais qui m'aidera à évoquer les éléments importants de l'ouvrage sans trop me disperser. Il s'agit d'une simple et bête répartition entre points positifs et points négatifs - selon un jugement, je le repète, tout à fait subjectif. Afin de ne pas terminer sur une note trop noire, je commencerai par ce qui m'a gênée avant d'évoquer les éléments qui m'ont semblé plaisants et intéressants.


~ La rébellion romantique.

De forme hybride, ce roman commence sous forme épistolaire, avec la voix de d'Albert, jeune homme mélancolique et idéaliste, poète amoureux du concept de Beauté. Ce dernier écrit des lettres interminables à son ami, où il s'épanche le plus littérairement possible, lui contant ses dernières aventures à grands renforts de lamentations diverses. Ne m'étant pas renseignée quant à la date d'écriture du roman, j'ai pensé au départ être en face d'une parodie. Et assurément, on sent qu'avec ce roman, Gautier va aller plus loin que le lyrisme romantique. D'Albert lui-même en vient parfois à mettre son discours à distance et à considérer son attitude avec une légère ironie. Cependant, la première moitié du roman - environ - lui donne la parole, et le lecteur est bien obligé de le suivre dans sa quête désespérée d'idéal. Une première chose, donc, à reprocher à ce roman : son ton et son écriture. Que ce soit par le biais de d'Albert ou par celui d'autres personnages, les descriptions-types sont légion : quand le souvenir des temps passé amène à la mélancolie, quand le coucher de soleil et le temps morose se font le reflet de l'âme, quand les jardins et les bois se font le cadre bucolique des jeunes amours. Passionnés et flamboyants, ces élans de la part des personnages contribuent à nous les rendre lointains et inaccessibles. Etrangement, je n'ai quasiment jamais été gênée par la longueur des lettres à la lecture de La Nouvelle Héloïse, mais ici je n'ai pas réussi à jouer bien longtemps le pacte de la fiction. Dès le premier chapitre, j'ai considéré ces passages de "lettres" autrement, l'écriture se tenant si éloignée du genre épistolaire.
Pour rester dans des considérations de genre, ce roman est écrit de façon assez originale : je viens de parler d'épistolaire, et la majeure partie de cet ouvrage consiste en des lettres écrites par d'Albert et Mademoiselle de Maupin à leurs confidents respectifs. A cela s'ajoutent des chapitres de narration ainsi qu'un dialogue assez proche du théâtre. Ces changements de procédés d'écriture auraient pu, à mes yeux, constituer une innovation intéressante, notamment en matière de rythme et de dynamique du récit. Cependant, la répartition est très inégale : d'une évolution très lente au début du roman, on assiste à une très forte accélération du rythme narratif à la fin du livre, quand Mademoiselle de Maupin/Théodore conte son évolution dans le monde. Technique plutôt audacieuse que cette alternance entre dialogue théâtral, récit et lettres, mais son utilisation, outre la surprise qu'elle peut provoquer, ne m'a pas semblé aussi féconde au niveau du sens qu'elle n'aurait pu l'être. En restant dans le thème de la surprise et de la provocation, il conviendrait de dire un mot sur la préface, qui m'a laissé une impression aussi - voire plus - mitigée encore que le texte. Celle-ci contient une attaque en règle des critiques littéraires journalistiques, pas inintéressante du tout mais qui se révèle douteuse sur certains points. La préface de Mademoiselle de Maupin - et où il n'est presque pas question de Mademoiselle de Maupin - est un véritable manifeste, prônant l'art pour l'art avec un ton plus que polémique. Drôle et irrévérencieuse, cette préface me semble pourtant, dans la volonté de provoquer la plupart du temps, aller un peu loin, non dans son propos direct, mais dans ce qu'il peut sous-entendre.
De cette lecture, je garde donc une impression de longueur, avec une accélération soudaine en fin de récit ; un rythme sans doute voulu, mais qui, en tant que lectrice, ne m'a pas du tout convaincue.


~ Originalité et audace.

D'un autre côté, la façon dont Théophile Gautier traite le triangle amoureux est tout à fait intéressante. Il faudrait d'ailleurs pour être plus exact parler de double triangle : les personnages concernés ne sont que trois, il est vrai, mais chacun d'entre eux se caractérise par une double attirance. Au final, Gautier instaure une tension constante entre les chimères, les fantasmes d'un côté et le réel de l'autre. D'Albert a Rosette pour maîtresse et aurait toutes les raisons du monde pour être satisfait, mais celui-ci ne peut s'empêcher de songer à la Beauté idéale, beauté qu'il trouve comme en réminiscence chez Théodore/ Mademoiselle de Maupin. En vérité, il n'y croyait plus, tout déçu qu'il était déjà de la médiocrité du réel : avant la rencontre avec l'élu(e) de son cœur, la Beauté pour d'Albert semble descendre d'un ciel platonicien ; après avoir vu Théodore, le jeune homme se souvient de cet idéal qu'il poursuit et rend compte qu'il existe bien une personne -et une seule- qui correspond à l'idée qu'il se fait de la beauté. Pour en revenir à nos deux autres membres du triangle, Rosette est folle amoureuse de Théodore/Mademoiselle de Maupin qui ne cesse de la repousser tout en ayant une relation avec le jeune d'Albert. La relation entre les deux femmes est condamnée, selon les mots mêmes du texte, à demeurer un amour platonique - pas si platonique que ça au final - alors que leurs caractères se conviennent à merveille. Enfin, en ce qui concerne le personnage éponyme, il est tiraillé entre ses deux soupirants, se sentant à la fois homme et femme, et ne trouvant la complétude dans aucune de ces deux possibilités.
Complétude, recherche de l'amour idéal et de l'âme sœur, on est en plein dans le mythe de l'androgyne. Gautier n'est pas le seul, à l'époque, à se pencher sur ce thème : Balzac avait déjà publié Sarrasine cinq ans plus tôt. Le motif de l'ambigüité sexuelle est pourtant traité ici avec une audace que je n'aurais pas soupçonnée, que ce soit dans les discours que tiennent les personnages sur eux-mêmes ou dans l'évocation de scènes érotiques. Mademoiselle de Maupin est un roman emprunt de sensualité et refusant ce qui, habituellement, passait à l'époque pour tabou. Pour faire un nouveau parallèle avec la préface, on peut se réjouir que Théophile Gautier ait rejeté les conventions morales de son temps pour écrire son roman : cela donne en effet une certaine force et une certaine vérité aux aventures sentimentales des trois personnages. Enfin, ce roman m'a tout de même tenue en haleine jusqu'au bout par la richesse du personnage de la Maupin. L'image qu'elle donne de la condition féminine à l'époque me semblait intéressante, image qu'elle a par ailleurs rejetée en choisissant de se travestir pour découvrir le monde. Il y a quelque chose de touchant et de désespéré dans cette démarche qui l'amène à découvrir la vérité sur les rapports entre les deux sexes, et tue par la même occasion toute possibilité de croire en ce beau concept d'Amour -que, décidément, tous les personnages de ce roman aiment à faire fleurir un peu partout.

~*~
Roman à chimères et à fantasmes, Mademoiselle de Maupin propose le tableau complexe de trois passions en marche, le portrait de trois personnages en conflit avec leur identité et leurs désirs. Ce fut pour moi une lecture laborieuse, mais malgré ses longueurs et son écriture bien trop romantique à mon goût, ce roman m'apparaît comme une œuvre riche et foisonnante, sensuelle et audacieuse ; une œuvre qui évoque, malgré son âge, des réalités qui aujourd'hui encore demeurent taboues.

Images : mehmeturgut on Deviantart

2 billet(s):

Très beau blog!
Je reviendrai lire tes mots ...

dimanche, 22 juin, 2008  

Je t'ai taguée ma belle :
http://plumedefeu.blogspot.com/2008/06/souvenirs-denfance.html

lundi, 23 juin, 2008  

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