Les liaisons dangereuses de Laclos

{Cette note cite des extraits du livre et révèle peut-être, par ces citations et ses propos généraux, certains éléments de l'intrigue.}

Ce livre de Choderlos de Laclos est devenu un grand nom de la littéraire française et a eu une postérité très riche : influences diverses, adaptations filmées, pièces de théâtre, ... Etrange destin que celui de cette œuvre littéraire, considérée comme le chef d'œuvre de son auteur en dépit de ses autres écrits qui ont bien moins marqué l'histoire littéraire.

"Sans doute, vous ne nierez pas ces vérités que leur évidence a rendues triviales. Si cependant vous m'avez vue, disposant des évènements et des opinions, faire de ces hommes si redoutables le jouet de mes caprices ou de mes fantaisies ; ôter aux uns la volonté, aux autres la puissance de me nnuire ; si j'ai su tour à tour, et suivant mes goûts mobiles, attacher à ma suite ou rejeter loin de moi 'Ces Tyrans détrônés devenus mes esclaves' ; si, au milieu de ces révolutions fréquentes, ma réputation s'est pourtant conservée pire ; n'avez-vous pas dû en conclure que, née pour venger mon sexe et maîtriser le vôtre, j'avais su me créer des moyens inconnus jusqu'à moi ?"
La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont Lettre 81

Pour tout dire, ceci est une relecture : j'avais découvert Les liaisons dangereuses - et par la même occasion l'adaptation filmée de Stephen Frears - en classe de première, lors de l'étude du genre épistolaire. Le livre m'avait plu, mais j'y avais trouvé certaines lourdeurs, certaines longueurs. C'est un avis que je réfute aujourd'hui, à présent que cette deuxième lecture est achevée. Ce roman m'est apparu dans toute sa richesse avec sa diversité d'écritures, sa structure complexe, ses personnages charismatiques. Peut-être le fait de le lire à haute voix et en duo a-t-il permis de mettre en lumière ce que j'avais laissé échapper auparavant : lorsqu'on lit tout haut, il s'agit de prendre des intonations, de voir et de comprendre le rythme de chaque phrase, au final de s'approprier le personnage choisi ; cela fait entendre chaque effet de style qui coulent lors de la lecture silencieuse. Ce qui m'a particulièrement impressionnée chez Laclos est justement l'écriture : chaque personnage écrit à sa façon, et chaque écriture reflète le personnage. La marquise de Merteuil garde tout au long du roman son style froid et cynique, dans des lettres émaillées de phrases assassines et de pointes habilement formulées, et cela même quand elle prend de l'humour. Valmont est plus impulsif, orgueilleux -la Merteuil l'est également, mais elle conserve une certaine maîtrise d'elle-même qu'elle ne perd jamais tout à fait - bien plus prompt à s'échauffer également. Cécile a une écriture proprement enfantine particulièrement agaçante, reflet de son ingénuité, écriture qu'elle perd peu à peu, au fil des lettres mais qu'elle reprend sous la dictée de Valmont afin d'appeler à elle son amant. La présidente de Tourvel enfin, personnage qui semble tout droit hérité de Rousseau, a un style plus humble et plus passionné également, tandis qu'elle se laisse aller au babillage amoureux et qu'elle s'empêtre, trop confiante, dans les filets du séducteur.

"Si, par exemple, j'ai eu juste autant d'amour que toi de vertu, et c'est sûrement beaucoup dire, il n'est pas étonnant que l'un ait fini en même temps que l'autre. Ce n'est pas ma faute."
La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont Lettre 141

Ce livre, bien que datant du XVIIIème siècle, demeure tout à fait actuel : encore aujourd'hui, il garde un certain parfum de scandale, que ce soit dans la manipulation d'innocentes créatures par des libertins, ou par l'exemple d'émancipation féminine à travers l'image de la Marquise. On me dira ce qu'on voudra mais je continue à croire que même aujourd'hui, ce roman va loin. Dans le libertinage comme dans la perversité, et beaucoup, dans cette société où l'on se prétend de plus en plus libre et détaché d'une morale austère voire religieuse, n'accepteraient pas les principes mis en avant par les personnages. Il y a bien sûr ces complots machiavéliques des deux libertins, cette montreuse de marionnettes qu'est la Merteuil, tenant fermement les fils de chaque personnage et leur faisant exécuter des mouvements à son goût ... Jusqu'à ce qu'un des pantins lui échappe et que les fils lui tombent des mains. Le constat des Liaisons dangereuses semble finalement très pessimiste. Les "méchants" sont punis, par la mort, le déshonneur, mais qu'en est-il des "victimes" ? Fuite, entrée en religion, agonies, les innocentes créatures se retrouvent toutes perdues d'avoir seulement approché les deux "monstres". Morale a priori sévère et pourtant ambigüe : le constat des vices et des dangers du monde ne peut se faire qu'après coup, et la raison ne sert ici qu'aux regrets. La lecture de ce recueil de lettres est absolument jouissive tandis que l'on suit les échanges entre la Merteuil et Valmont ainsi que leurs conquêtes, leurs stratégies, leurs réciproques provocations. Les personnages qui se sont perdus perdent peu à peu la parole à leur tour - la lettre de 161 de Madame de Tourvel, notamment, est un véritable chant du cygne - et les scripteurs qui offrent leurs mots pour clore ce roman sont d'une autre nature : place est laissée aux discours moraux et aux lamentations des personnages directement liés aux victimes.

"Qui pourrait ne pas frémir en songeant aux malheurs que peut causer une seule liaison dangereuse ! et quelles peines ne s'éviterait-on point en y réfléchissant davantage ! Quelle femme ne fuirait pas au premier propos d'un séducteur ? Quelle mère pourrait, sans trembler, voir une autre personne qu'elle parler à sa fille ? Mais ces réflexions tardives n'arrivent jamais qu'après l'évènement ; et l'une des plus importantes vérités, comme aussi peut-être des plus généralement reconnues, reste étouffée et sans usage dans le tourbillon de nos mœurs inconséquentes. Adieu, ma chère et digne amie ; j'éprouve en ce moment que notre raison, déjà si insuffisante pour prévenir nos malheurs, l'est encore davantage pour nous en consoler."
Madame de Volanges à Madame de Rosemonde, lettre 175.

Libertinage, scènes où plane un certain érotisme, jeux de pouvoirs, manipulations, ce recueil, quelque peu sulfureux mais jamais vulgaire, est une œuvre subtile et riche ; l'ordre même des lettres semble avoir été réfléchi, mettant en valeur les disparités de ton et de style entre les personnages. Il joue également avec les points de vue et nous présente, comme par jeu, le même évènement vécu et/ou analysé par plusieurs personnes, créant une connivence avec le lecteur.

"Ah ! Qu'elle se rende mais qu'elle combatte : que, sans avoir la force de vaincre, elle ait celle de résister ; qu'elle savoure à loisir le sentiment de sa faiblesse, et soit contrainte d'avouer sa défaite. Laissons le Braconnier obscur tuer à l'affût le cerf qu'il a surpris ; le vrai Chasseur doit le forcer. Ce projet est sublime, n'est-ce pas ?"
Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil, lettre 23.

J'arrêterai là en ce qui concerne ce livre, qui représente pour moi un véritable coup de cœur et garde une place de choix parmi mes œuvres favorites. Afin de donner une certaine idée de l'atmosphère du roman, j'ai choisi de semer au fil des paragraphes diverses citations, afin de vous faire (re)goûter au style des Liaisons. Un vrai plaisir que cette relecture.


Images :
François Boucher - La marquise de Pompadour

François Boucher - Mme de Pompadour
François Boucher - La toilette

3 billet(s):

Je l'ai lu il y a un moment déjà et je l'avais aussi adoré. Ce doit être toute une expérience que de le lire à voix haute!

lundi, 25 février, 2008  

Oh ce livre, je l'aime...
Il m'a mise dans des états pas possible, surtout la marquise et son caractère tellement pervers...
Bon, maintenant tu vas me prendrep our une dingue, mais comme dirait I.Adjani: je "n'suis pas folle vous savez"!^^

lundi, 03 mars, 2008  

Dieu que j'ai aimé ce livre ... il est l'un des plus divin de ma collection je trouve ... un vrais chef d'oeuve !!

samedi, 08 mars, 2008  

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