[C] René, Chateaubriand.


Difficile de revenir en ce tout début XIXème siècle, alors que je me plonge volontiers dans les textes d'après 1850 depuis un moment. Cependant, j'avais choisi cette oeuvre dans le cadre de mon challenge ABC, et j'ai voulu (une fois n'est pas coutume) m'y tenir.

René est un court roman d'un bonhomme nommé Chateaubriand, contant l'histoire d'un jeune homme au passé troublé qui a quitté l'Europe pour s'exiler en Amérique. Le mélancolique personnage expose alors ses souvenirs à deux vieils hommes, l'indien Chactas et le père Souël. Ce qui frappe alors, c'est ce vague-à-l'âme tendu là, d'un bout à l'autre du récit, ce mal-être aux causes mal définies qui surgit, à chaque instant, du discours du personnage. Ça paraîtrait presque ridicule aujourd'hui : face aux soupirs de René, on est tenté de repousser tout du coin de la main en déclarant que ce n'est rien, tout au plus des lamentations d'adolescent. Malgré ça, il y a quelque chose de fort dans ce roman quelque chose même, d'un peu nouveau. Il y a bien sûr cette hypersensibilité du personnage, et des accents lyriques pas si éloignés du ton de Rousseau. Certains passages, certaines déclarations sembleraient même tout droits sortis de La Nouvelle Héloïse. Mais on est déjà ailleurs, aussi. A la lecture de René, on a également l'impression que Chateaubriand écrit sur la place de l'individu dans le monde, place que le personnage ne parvient pas à trouver, qu'il ne cherche peut-être pas à trouver. Le jeune homme fuit sans cesse, il voyage partout, dans l'espoir de trouver sa place, et partout il demeure un marginal. Rongé par un "vague des ses passions" qu'il ne parvient ni à expliquer ni à contrôler, il préfère se retirer de monde et mener une vie de solitaire. Le roman se clôt sur l'image de René, isolé sur un rocher où il contemplait l'horizon, au soleil couchant. Alors quand on le parcourt comme ça, un après-midi, ça fait sourire et ça paraît désuet, mais René marque tout de même un tournant majeur dans l'histoire littéraire, en mettant en scène de manière plutôt efficace le personnage romantique. Cet ouvrage aura par ailleurs un retentissement que son auteur déplorera : "Une famille de Renés poètes et de Renés prosateurs a pullulé : on n'a plus entendu que des phrases lamentables et décousues ; il n'a plus été question que de vents et d'orages, que de mots inconnus livrés aux nuages et à la nuit ..." écrira-t-il dans Les Mémoires d'Outre-Tombe.

Je disais plus haut que René paraissait aujourd'hui sans un peu désuet. Il y a tout de même quelque chose qui fait que ça marche et qu'on lit la nouvelle jusqu'à son terme : c'est l'écriture. Chateaubriand a une prose tout à fait remarquable : il joue sur les rythmes, les sonorités, les images en virtuose, et par cela, il nous tient en haleine. Jusqu'au bout. En ce sens, les évocations de la Nature chez Chateaubriand sont remarquables. Ce qui est intéressant également, c'est la peinture des relations entre René et sa sœur qui sont particulièrement ambigües. On pourrait tout de même regretter qu'une telle finesse dans l'évocation trouve sa fin en une glose fortement moralisatrice qui, pour le lecteur du XXIème siècle, vient briser la force du propos. En mettant en scène un homme qui présente un sentiment de profond malaise face à son siècle, à son Histoire, Chateaubriand contribue à l'émergence d'une mentalité particulière qui sommeillait alors en Europe : ce qu'on a appelé le "romantisme" est en train de naître. Par sa concision et l'efficacité de son récit, René demeure un ouvrage qui se lit bien, et, passé les premières pages, j'y ai trouvé du plaisir. Référence à connaître dans un cadre strictement utilitaire (c'est à dire, pour moi, dans l'optique des concours et tout le toutim), ce roman m'a particulièrement marquée par sa beauté d'écriture ...


En passant : Achèvement du Challenge ABC, L - 2 !

Images : Caspard David Friedrich

4 billet(s):

Au lycée, j'avais dû, pour un exposé, comparer René et Les souffrances du jeune Werther de Goethe. J'ai beaucoup souffert. Le jour où j'ai découvert avec combien de cynisme Goethe parlait de l'effet que produisait son oeuvre sur des âmes fragiles, je me suis enfin sentie un peu vengée - je suis persuadée que nombre de personnes qui encensent ce texte ne l'ont pas lu.

jeudi, 16 octobre, 2008  

j'ai un vague souvenir de "René", lu en première année de DEUG pour illustrer un cours d'Histoire Littéraire, j'avoue que la première vague romantique n'est pas celle que je préfère mais est-ce parce que je la connaît un peu moins bien! Toutefois tu (si "tu" m'est permis!)en fait une bonne analyse et du coup il n'est pas exclu que je m'y replonge !

jeudi, 16 octobre, 2008  

connais !!!! bien sûr, pardon pour la faute

jeudi, 16 octobre, 2008  

Merci à vous deux d'être passées ! =)

Elsa : Oh, tu crois ? En tout cas, je comprends assez bien ta souffrance, et j'avoue que je ne saurais pas les lire tous les deux de bout en bout. Pour le coup, René a suscité chez moi plutôt un intérêt de curiosité et, si je l'ai trouvé intéressant, je n'irais pas jusqu'à dévorer "Atala" pour mon plaisir ... C'est drôle en tout cas de voir que Goethe et Chateaubriand ont tous deux renié leurs œuvres respectives.

G.Sand et moi : Oh le "tu" est tout à fait permis, j'ai tendance moi-même à tutoyer les gens sur le Net : la distance entre deux internautes est déjà bien grande, inutile de la prolonger ! Pour ma part, de ce que j'ai vu, ce n'est pas non plus ce que je préfère, mais en même temps, on ne peut pas dire que je sois particulièrement à l'aise avec cette vague, je n'y connais pas grand chose, en vérité ... Heureuse d'apprendre en tout cas que cette petite note t'a semblé intéressante.

jeudi, 16 octobre, 2008  

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