Troisième roman de l'anthologie Romans fin de siècle que j'ai lu. Troisième et dernier puisqu'il me faut rendre l'ouvrage demain à la bibliothèque. C'est tellement frustrant de n'avoir lu que trois livres sur les huit proposés ! Enfin ... Ce sont les règles du jeu.

Il est assez difficile d'écrire une note sur ce texte, car je ne sais pas encore exactement ce que j'en pense et j'aimerais creuser davantage dans ce sens. Ce fut en effet une lecture assez déstabilisante, assez inhabituelle, même si j'avais déjà inauguré ce type de littérature avec Huysmans et Jean Lorrain. Cette note sera donc assez brève.

Le roman Les Hors Nature nous compte l'histoire de deux frères, Reutler et Paul-Eric de Fertzen ; l'ainé, grand et digne, en quête d'absolu, né en Allemagne et le cadet, effeminé, sensible, débauché, né en France. A priori, tout oppose ces deux personnages, et le roman n'est qu'un va-et-vient entre affrontements et réconciliations, complicité et incompréhension. La relation qui unit les de Fertzen est riche, elle oscille entre répulsion et attirance. Amours incestueuses, représentation allégorique des relations entre la France et l'Allemagne, le livre ne tranche pas, et on se retrouve emprisonné un peu malgré soi dans ce réseau complexe de sens, et entraîné dans notre élan jusqu'au drame final. Une fin tragique sous forme d'apothéose, mise en scène comme un final de ballet à grand spectacle.

C'est une œuvre assez curieuse, avec des personnages tout à fait décalés, aussi maladroits et impuissants que destructeurs. Chaque ligne fait l'apologie de l'artifice et tourne le dos à la nature, avant de tourner le dos au monde. Plus l'intrigue avance, plus les deux frères s'enferment dans leur bulle sans air, négligeant les domestiques qui commencent à murmurer, faisant fi des scandales, oubliant tout. L'émotion elle-même se joue, et on en vient à douter de sa sincérité : déclamation oratoire devant un miroir ou confidence amoureuse ? Les de Fertzen se tournent autour, se dissimulent, se révèlent, se battent, se tuent ... Et nous, spectateur impuissant, nous sommes condamnés à les regarder se détruire l'un l'autre sans toujours comprendre tout de suite ...

C'est un peu comme une longue descente aux enfers, émaillée de scène étranges et marquantes : la longue nekuia dans les tréfonds d'un Opéra, dans une ambiance fantasmagorique ; le carnaval à l'Opéra où le cadet de Fertzen apparaît travesti en princesse byzantine ; l'incendie du château en campagne ... Visions surnaturelles, plus ou moins artificielles, plus ou moins rêvées confèrent à l'œuvre une atmosphère étrange et assez malsaine, où, extérieur et décontenancé, on suit le parcours de ces deux fantoches que sont Paul-Eric et Reutler de Fertzen.


Je terminerai cette courte note en citant un passage, parmi ceux qui m'ont le plus marquée et qui décrit le grand incendie final dans le château des deux frères. Par une étonnante évocation, très visuelle, Rachilde y organise un ballet étrange de fantômes et d'objets à l'agonie :

" Des averses rouges tourbillonnaient du haut des plafonds où les caissons et les rosaces s'agitaient, doués d'une existence fantastique. Tout avait des gestes. Les meubles, d'or et de vermeil, sautaient en une danse bizarre, dérangés par des bras puissants. La verrière, au ton d'ambre, se craquelait, fondai, ondulait comme un rideau, et les cigognes, planant en son centre, s'enlevaient blanches, en poussant les cris véritables du cristal se brisant. Des tapis jaillissaient des spires de fumée rose et le grand carré de Smyrne, groseille et bleu, bouillonnait comme du sang frais, lançant des bulles, lesquelles crevaient, puant la laine de bête qui roussit sous la marque du fer. Les petits meubles de laque pleuraient leurs étagères à grosses gouttes noires, épaisses, gluantes, affreuses comme des larmes de bitume. Et des tentures, des soieries, de moelleux velours pâles devaient couleur de soufre. Des statuettes, aux visages livides d'effroi, se levaient toutes seules, d'horreur, et tombaient en avant, la tête auréolée. Dans la salle à manger, un dressoir plein d'argenterie réverbérait les étincelles comme un immense bouclier s'écaillant de précieux métal, et, des panoplies, se détachaient des armes flamboyantes, brandies, sous la fumée sombre, par d'invisibles poignes."

Musique : C. Willem - Jacques a dit
Images : Gustave Moreau - Phaéton

Glass-door Vision by LittleSilverBones

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RENTRÉE LITTÉRAIRE GAYKITSCHCAMP 2011

[PAUL DEVAUX] LES FELLATORES
suivi de CÔTÉ DES DAMES et de GISÈLE D’ESTOC, LA VIERGE RÉCLAME.
QUESTIONDEGENRE/GKC 2011. ISBN 978-2-908050-71-4 168pp. 17€

La présente réédition des Fellatores par le Dr Luiz [Paul Devaux] est la première depuis l’édition de 1888. Augmentée d’annexes importantes dont Côté des dames du même auteur sous le pseudonyme de Gygès et La Vierge-réclame de Gisèle d’Estoc (1887), elle devrait ravir et les amateurs de littérature décadente et les passionnés d’histoire des homosexualités, enfin franchement associés.
Notre première motivation fut d’ajouter la fellation à notre série d’habitudes sexuelles de la fin du XIXe s. parues sous le titre de « Pédérastie passive » et Pédérastie active ». Or, Les Fellatores est loin, comme les deux titres précédents, d’être un texte por-no-pédagogique. L’ouvrage serait même au contraire, comme celui de Gisèle d’Estoc, une mise en garde complaisante et tragi-comique dirigée contre Marguerite Eymery dit Rachilde, auteur de textes transgenres aux titres–programmes révélateurs tels que Monsieur Vénus (1884), La Marquise de Sade (1887) et Madame Adonis (1888). Les Fellatores donnera, espérons-le, l’occasion de réhabiliter Rachilde, non plus seulement comme une personne sulfureuse (que ce soit dans le sens négatif ou positif du terme) mais comme la chef de file d’un mouvement littéraire homosexuel (au sens transgenre du terme) et la grande décou-vreuse de talents quand elle dirigera, avec son mari Alfred Vallette, Le Mercure de France (1889).
Mais bien vite, on se rend compte aussi que ces textes, restés dans l’ombre jusqu’ici, nous narrent, par leur ton polémique : in vivo, un Paris gay « fin-de-siècle/ fin de sexe » (aphorisme de Jean Lorrain) autour de l’Opéra Garnier et plus précisément du Café de la Paix (la terrasse du « Côté des dames » ») ainsi qu’autour des lieux de divertissement des Parisiens de l’époque im-pressionniste (les plages de l’île de Croissy et sa guinguette La Grenouillère, Chatou, Bougival). Et ceci, avec un style désopilant auquel l’emploi de l’argot « apache » n’est pas étranger. Patrick Cardon

TRIBOULET LA FARCE DE PATHELIN et autres pièces homosexuelles

Le « fou » Triboulet, bouffon du roi René d’Anjou, fut un comédien de génie. Il est également l’auteur d’un grand nombre de pièces, dont ne subsistent que quatre Sotties, et – d’après les recherches les plus récentes – la célèbre Farce de Pathelin. Si la dimension homosexuelle des Sotties est aujourd’hui reconnue, on a trop peu insisté sur le second degré sodomique qui porte d’un bout à l’autre Pathelin.

Les cinq pièces de Triboulet sont données ici dans leur version la plus complète et la plus correcte, accompagnée d’une traduction savoureuse due à Thierry Martin, spécialiste de Villon et de Rabelais.

ISBN 978-2-908050-72-1 412pp. 24€

ARMORY [Carle Lionel Dauriac] LE MONSIEUR AUX CHRYSANTHÈMES
ISBN 978-2-908050-73-8 112pp. 14€

La première pièce homosexuelle du théâtre français du xxe s. où parmi les personnages, on pourra reconnaître les styles de de Max, Oscar Wilde, Jean Lorrain, Liane de Pougy. Cette pièce eut un énorme succès auprès d’un public connaisseur et une excellente critique, comme nous le rapportent les documents réunis ici. Elle ouvrira d’autres perspectives. Patrick Cardon


Marguerite Coppin RESSORT CASSÉ
ISBN 978-2-908050-74-5 102pp.14€

Marguerite Coppin, née à Bruxelles en 1867, est morte, probablement, en Angleterre, en 1931. Elle est l’auteur, entre au-tres, de
Ressort cassé, 1889 ; Le Troisième Sexe 1890 ; Hors Sexe, 1890
Mirande LUCIEN

À partir du 20 septembre dans les Librairies Les Mots à la Bouche et Violette&Co (Paris)


OU ENCORE
PAR SIMPLE VIREMENT PAYPAL À GAYKITSCHCAMP@GMAIL.COM

mercredi, 26 octobre, 2011  

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