Le Mime Bathylle de Jean Bertheroy

" Est-ce sous nos portiques qu'on te montrera une femme digne de tes voeux ? Y en a-t-il aux gradins de nos théâtres une seule que tu puisses aimer avec confiance et emmener de là chez toi ? Il suffit que Bathylle, ce mime lascif, danse la Léda, pour que Tullie prenne feu, pour qu'Apula pousse soudain, comme dans l'étreinte, de longues plaintes ; l'attention immobilise Thymèle : encore innocente, Thymèle apprend. "
Juvénal, Satire VI


Par rapport aux deux autres oeuvres de l'anthologie, Le Mime Bathylle de Jean Bertheroy apparaît étonnamment sage et classique. L'auteur nous conte la Rome d'Auguste, à l'époque où deux mimes se disputent la faveur générale : Pylade et Bathylle.

"[Pylade]excelloit dans la Danse tragique, s'occupoit même de la comique & de la satyrique, & se distingua dans tous les genres. Bathylle, son éleve & son rival, n'eut sur Pylade que la prééminence dans les Danses comiques. L'émulation étoit si grande entre ces deux Acteurs, qu'Auguste, à qui elle donnoit de l'embarras, crut qu'il devoit en parler à Pylade, & l'exhorter à bien vivre avec son concurrent, que Mécénas protégeoit : Pylade se contenta de lui répondre, "que ce qui pouvoit arriver de mieux à l'Empereur, c'étoit que le peuple s'occupât de Bathylle & Pylade." On croit bien qu'Auguste ne trouva point à propos de répliquer à cette réponse. En effet, tel étoit alors le goût des plaisirs, que lui seul pouvoit faire perdre aux Romains cette idée de liberté si chere à leurs ancêtres. "
Dictionnaire dramatique, 1776, chez Lacombe.




Je me suis permis de citer ces mots, tout simplement car le roman de Jean Bertheroy est bien documenté et qu'il s'appuie sur un tissu historique assez solide pour y développer son récit. Nous suivons donc le parcours de Bathylle, personnage ambitieux et sensuel prêt à tout pour con quérir le public romain, dans sa compétition face au talent de Pylade. Roman de la manipulation et de l'indifférence, cette histoire montre l'amour de Tullia - cette jeune femme dont le nom apparaît chez Juvénal - pour le mime qui, lui, la considère uniquement comme une de ses nombreuses maîtresses, prêt à la sacrifier au bénéfice de sa notoriété. Tullia se consumme, Bathylle danse.


A travers ce roman historique et l'image de la Rome antique qu'il développe, apparaît en filigrane le reflet d'une société fin de siècle où les valeurs s'estompent et se perdent, où la danse et le spectacle populaire ont remplacé la poésie. L'écrivain se retrouve alors dans une sorte d'intermédiaire assez flou, coincé entre mépris et indifférence, reconnu pour le talent de ses vers sans être véritablement apprécié par les foules. Par la description d'une Antiquité plus ou moins fantasmée, c'est le XIXème siècle expirant que Jean Bertheroy met en scène, avec une littérature qui se remet en question, repoussée dans ses retranchements par la musique, la danse et le théâtre. Le roman est finalement assez classique et bien moins provocateur que les autres oeuvres fin-de-siècle que j'ai lues. Cependant, il reflète assez bien son temps par transposition d'une époque à l'autre, évoquant la danse et le milieu du spectacle à une époque (fin XIXème et tout début XXème) où le ballet est un art populaire et florissant.

Image : Bouguereau - Allégorie de la danse

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