« A M…, ville importante de Haute-Italie, la marquise d’O…, dame d’excellente réputation, veuve et mère de plusieurs enfants, fit savoir par la presse qu’elle était, sans savoir comment, dans l’attente d’un heureux événement, que le père de l’enfant qu’elle allait mettre au monde devait se faire connaître, et que, pour des considérations d’ordre familial, elle était décidée à l’épouser."

Ce sont les premiers mots de cette nouvelle de Kleist, entrée pour le moins surprenante. J'ai commencé cette courte nouvelle hier dans le train et l'ai terminée le soir-même. A présent, je tente de réfléchir un peu à cet étrange texte, car je puis dire qu'il m'a assez déconcertée ... Je me contenterai pour cette fois d'un billet assez court.
Par une écriture froide, désintéressée, presque distraite, Kleist nous raconte une drôle d'histoire qui est celle de la grossesse inexpliquée de la marquise, et les drames qui s'ensuivent : rumeurs, rejet de la part de la famille, honte, incompréhension de la jeune femme. Le récit est court et émaillé d'actions, il poursuit son cours inexorablement sans jamais s'arrêter un instant, dans une certaine tension qui ne se relâche qu'à la toute fin. Rétrospectivement, la vérité apparaît dès le début, dans les déclarations du personnage fautif, son comportement mais sur l'instant, tout semble juste mystérieux et incompréhensible. De par sa structure, cette nouvelle m'a plutôt fait penser à une pièce de théâtre : on plante le décor, on décrit les attitudes des protagonistes, on ajoute du dialogue. Tension, opposition, coup de théâtre et on change de scène. Il est intéressant de voir cette excessive froideur de l'auteur, cette langue tranchante qui raconte pourtant un véritable drame pour la marquise et sa famille. Le côté tragique de la situation parvient en effet à ressortir à travers cette écriture énergique et détachée où le narrateur est absent. C'est donc un récit assez surprenant qui me semble un peu à part, très dramatique dans sa construction. Je ne voudrais pas dire d'énormité et cela n'est qu'un jugement tout à fait subjectif, ce texte m'a un peu fait penser à certaines nouvelles de Stendhal, mais je n'ai pas grand chose à dire pour justifier cette idée, ce n'est qu'une impression de ma part. Finalement, je suis assez curieuse de découvrir d'autres œuvres de cet auteur car je sens qu'à la lecture d'une seule nouvelle - et si courte -, il est difficile de se faire une idée, et j'aimerais comprendre davantage où le bonhomme veut en venir. Je me tournerai peut-être vers une de ses pièces de théâtre et vers d'autres nouvelles.


2 billet(s):

Un texte très curieux, en effet. J'avais aussi été déconcertée par le comportement de la marquise, qui continue à nier en bloc au lieu de réfléchir cinq minutes à son évanouissement. C'est comme si elle était déterminée à se voiler la face au lieu de tirer les conclusions qui s'imposent. Et les grandes scènes larmoyantes m'avaient plutôt fait sourire !

lundi, 03 mars, 2008  

Bonjour,

Je vous conseille de voir l'adaptation d'Eric Rohmer. Il a gardé le texte original (en allemand sous-titré) donc il n'a presque pas changé un mot. C'est un film assez beau, selon moi, qui conserve cette étrange froideur du texte de Kleist. La Marquise se voile la face, en effet, je pense que c'est parce qu'elle vit dans son monde et refuse la réalité, comme une image de toutes les femmes qui refusent la réalité de l'amour. Elle accepte d'ailleurs mieux sa grossesse lorsqu'elle est inexpliquée que lorsque le père se présente. La vraie explication du phénomène remet en question sa vision du monde (entre les anges et les démons, avec elle au milieu en sainte vierge), et l'oblige à admettre ses propres désirs.
Pour ceux qui lisent cette langue, le texte est naturellement magnifique en allemand, très vieillot mais avec beaucoup de force et de charme. Et je le répète, Eric Rohmer, film de 1976, très simple et sobre, bien joué, peut-être un peu ennuyeux pour ceux qui aiment les films où tout va vite mais vraiment joli...

jeudi, 26 mars, 2009  

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