[B] Jane Eyre de Charlotte Brontë

Pour cette troisième lecture du challenge ABC, je reste dans le thème de la littérature anglaise et ai découvert le célèbre roman de Charlotte Brontë, Jane Eyre. Cette histoire fait souvent partie de celles que l'on lit enfant, dans un livre parfois plus court et plus épuré, mais cela n'a pas été le cas pour moi. J'ai longtemps possédé un de ces petits livres aux couvertures blanc et rouge, intitulé Jane Eyre, mais je ne l'ai jamais lu. Une sorte d'aura mystérieuse entourait cet ouvrage que ma mère m'avait montré en me disant "Oh celui-là tu ne devrais peut-être pas le lire, il est un peu dur pour toi." Mes souvenirs sont très flous, mais tout ce que je sais, c'est qu'alors, je n'avais pas osé le lire. A présent, le mythe et l'appréhension sont brisés depuis longtemps, et prenant pour prétexte ce challenge, j'ai découvert cette histoire, trop lointainement connue jusque là.


Le roman de Charlotte Brontë est un roman d'initiation et d'apprentissage qui, sous couvert d'envolées romanesques, dit beaucoup de choses de son époque. Je n'ai pu m'empêcher de le voir comme une sorte d'autobiographie fantasmée et romancée, dans les parallèles que l'on peut tracer entre l'expérience de l'héroïne et celle de l'auteur. Le récit suit la vie d'une jeune orpheline devenue gouvernante qui tombe amoureuse de son employeur et maître Mr Rochester. Les différentes étapes de son existence semblent rattachées aux lieux qu'elle traverse, et chaque environnement, chaque paysage apparaît comme le reflet de l'intériorité de l'héroïne, illustrant les mouvements de son âme et les évènements de sa vie. Pour donner un exemple, la pension de Lowood, milieu froid et insalubre, est caractérisé par des pièces basses et un horizon sans cesse encombré, où le regard et l'esprit ne peuvent s'évader. Ce jeu incessant entre les caractéristiques du paysage et les sentiments des personnages donne une ambiance imperceptible au premier abord mais changeante, comme un décor artificiel parfaitement en accord avec les pensées de l'héroïne - procédé que l'on retrouve, en passant, dans Wuthering Heights d'Emily Brontë. Jane Eyre garde l'héritage des œuvres romantiques et gothiques, à travers quelques éléments qui parsèment le roman et qui lui confèrent un aspect assez sombre et mystérieux. Quelle est donc cette étrange présence qui, chaque nuit, hante les couloirs du manoir de Thornfield ? Cet héritage est finalement dépassé, car il ne s'agit pas de la seule caractéristique du roman, mais il n'en demeure pas moins là et marque encore toutes les descriptions de paysage, les atmosphères sombres et mystérieuses de certains passages ainsi que l'exaltation des passions chez les protagonistes.

D'un autre côté, Jane Eyre est un roman profondément ancré dans son temps qui donne une certaine vision de la société victorienne, tout en mettant en avant des pensées et des attitudes presque inacceptables pour l'époque. Du sordide orphelinat de Lowood aux sombres prédications du pasteur Brocklehurst, en passant par le poids omniprésent des convenances et autres contritions, le roman de Charlotte Brontë reflète l'austérité de la société anglaise du XIXème siècle, inégalitaire et en pleine mutation. L'héroïne, pas vraiment belle, est une femme qui travaille, qui est confrontée au problème de l'argent et qui peine parfois à trouver sa place dans un monde changeant mais cloisonné. Jane Eyre est notamment hanté par l'austérité religieuse avec une condamnation apparente du défaut de coquetterie, de nombreuses références à la Bible ; mais également des contraintes beaucoup plus lourdes et plus profondes, une remise en question - assumée ou non - d'une morale que l'héroïne ne comprend pas et qu'elle cherche, tant bien que mal, à adapter à sa propre idée de la justice. Le roman exprime un certain malaise par rapport aux sermons, aux conseils et aux injonctions d'une religion dépourvue de sa dimension humaine et consolatrice : religion codifiée dans laquelle Jane ne se retrouve pas. Le point de vue de l'auteur ne se définit pas facilement, Charlotte Brontë étant elle-même fille de pasteur ; toujours est-il que l'image qu'elle donne de la religion et de la société dans son roman est nuancée et ambigüe.

Ainsi, malgré son côté très romanesque et quelques ingrédients d'intrigue assez invraisemblables, le roman de Charlotte Brontë se lit avec plaisir. On se laisse prendre à l'histoire, on suit chaque pérégrination de Jane Eyre en espérant pour et avec elle que le bonheur reste accessible. Vaste succession de soumissions et de révoltes, le roman raconte l'évolution d'un personnage en quête de reconnaissance, de bonheur et de liberté.

" Sans s'arrêter sur aucun des autres objets, mes yeux se posèrent sur les plus lointains, sur les sommets bleutés. C'étaient eux que j'aspirais à dépasser ; tout ce qui était à l'intérieur de leur frontière de roc et de lande me faisait l'effet d'une cour de prison et d'une terre d'exil confinée."

4 billet(s):

J'ai tellement aimé ce livre! Ton analyse est bien intéressante, j'en ai beaucoup apprécié la lecture!

mercredi, 16 janvier, 2008  

Comme Karine !

dimanche, 20 janvier, 2008  

Belle critique ! Dire que Jane Eyre a fait scandale à l'époque, avec ce risque de bigamie assumé ! Je l'ai en tout cas trouvé très romantique et passionné quand je l'ai lu, la recherche de l'amour idéal, non humiliant, satisfaisant la sensualité... Quelle jeune femme ne pourrait s'identifier à l'héroïne ?!

lundi, 28 janvier, 2008  

c'est le livre qui m'a fait aimé la lecture. Que de souvenirs !!!

samedi, 13 septembre, 2008  

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